Black friday en Egypte, par Sarah Cattan

Nous n’avons qu’un seul ennemi. Les islamistes. Nous le vaincrons aux côtés des musulmans.

Des fois, toi t’es là. Comme une pomme. Quand tombent les nouvelles. Je sais pas où t’étais, toi, hier. Moi j’étais dans une situation improbable : certains diront la chance ! D’autres diront oh my god : moi ce matin j’avais rendez-vous avec ma fille et ma belle-fille pour une journée style Allez on  y go, Les cadeaux de Noël on va les faire ensemble T’inquiète on va se faire un chouette restau au milieu La pilule elle passera mieux. Parce que je sais pas Toi, mais moi, depuis quelques années, cette affaite de Noël ça me gave Bon je vais pas te faire un dessin De toutes façons je t’avais dit et si t’as suivi, Noël is coming et hier en plus tu sais quoi : c’était le Black friday.

Comme parfois je te raconte des bouts de ma vie, sache que nous sommes arrivées épuisées. T’avais celle qui sortait d’une gastro L’autre qu’avait mal dormi Et moi ben j’avais carrément pas trop la pêche eh ouai des fois ça arrive.

C’était cool quand même de se faire la corvée d’amour à 3 et donc nous y voilà. Avec des points d’orgue. T’avais Sylvie qui cherchait une robe. Voire deux. Ma fille ? Tu sais quoi ? Elle pensait qu’à fumer. Et moi, je voulais finir pas trop tard et prendre la 14. Aller voir la mer.

Quand t’as pas trop la pêche, tu fais quoi, toi ? Parce que moi, Lecteur, j’ai un réflexe : coffee clope Eteindre France Info Débrancher les réseaux sociaux.  Chacun son truc. Sauf que si t’as un smartphone et que t’es devenu un peu accro aux news, tu fais quoi : ben de temps en temps tu regardes ton écran et évidemment là, aux environs de midi, tu vois quoi ? Tu vois morts dans une mosquée en Egypte. 

Mosquée soufiste 

Moi l’ambiance glamour bonheur Noël je veux surtout pas la casser mais je peux pas c’est de l’ordre du réflexe Je montre l’écran à ma fille et je lui dis non mais regarde Son visage change ça y est je t’ai bousillé l’ambiance Ta fille elle est adulte mais c’est Noël arrête arrête arrête je me suis dit C’est Noël Et j’ai arrêté Et personne ne m’a relancée Personne ne m’a dit Alors c’est quoi cette affaire. J’ai essayé des robes j’ai ri j’ai plaisanté j’ai bu une Tsingtao. Parce qu’en fait tu t’habitues : un pied dans la fête l’autre dans l’effroi le deuil. Est-ce ainsi que les hommes vivent disait le poète. Moi j’habite devant la mosquée. Même qu’un jour je t’ai raconté. Moi je sais comment c’est la merde le vendredi midi quand tu rentres de ta salle de sport et que tu te dis Ah non c’est vendredi jour de prière se garer ben c’est mort.

Ben là c’est mort en Egypte. Black Friday à la mosquée. Je regarde les fringues les bijoux les parfums la déco et je reviens toujours sur mon écran ils se sont attaqué à une mosquée soufiste. C’est quoi d’ailleurs exactement le soufisme. Marie en a souvent parlé. Ils, étrangement, tu te poses plus trop la question de savoir qui ça peut bien être.

Le soufisme, en arabe تصوف, désigne en islam le cœur spirituel de la tradition islamique. Toi tu sais pas trop de choses. T’as juste un peu lu. T’as ta pote qui t’a expliqué des trucs. Tu te souviens vaguement que les soufi, si t’as bien pigé, en gros c’est une voie d’élévation spirituelle par le biais d’une initiation. Tu sais même un mot : La  tarîqah. Voie ou sentier pour y parvenir, à l’élévation spirituelle. Tu sais que le soufisme est présent à la fois dans les branches sunnite et chiite, sous des formes différentes. Tu te souviens qu’en 2016, un concile rassemblant 200 personnalités sunnites du monde entier s’était réuni dans le but de définir l’identité des gens du sunnisme par opposition aux différents groupes considérés égarés. Voilà : tu sais pas plus. Tu sais vaguement que les principes du soufisme, ils sont pas en concordance avec la sunna, le livre saint des musulmans sunnites.

Tiens. Regarde l’étymologie du mot soufisme. C’est joli tu te dis Ça viendrait de l’arabe safa ou safw, pureté cristalline. Ou peut-être de Ahl al-soufa : les gens du banc, en référence à ceux qui vivaient dans la Mosquée du Prophète à Yathrib et que le Coran mentionne comme la compagnie de ceux qui invoquent leur Seigneur matin et soir. Y a encore une hypothèse selon laquelle le mot soufisme  pourrait être tiré de al-souf, la laine, en référence au vêtement pauvre porté par le soufi en signe de modestie. 

Le traité de l’amour

Tu lis encore. Les soufis se seraient organisés assez tardivement en confréries fondées par des maîtres spirituels. Chaque soufi se rattacherait à une chaîne représentant sa généalogie spirituelle. Tout ça, ça concerne les régions tardivement converties à l’islam. Toi, t’as compris que la notion de soufisme, elle recouvre donc des réalités très variables, certaines purement spirituelles et métaphysiques. D’autres traduites par l’implication des maîtres soufis dans le domaine politico-social.

Ça y est : tu y arrives. Les confréries soufies furent persécutées car jugées hétérodoxes par certains docteurs de la loi musulmane.

Voyons ça ? Reproches faits au soufisme :

T’es un instrument pour sortir du cadre d’une forme d’orthodoxie stricte et littérale.

T’es une dérive. Superstitieuse qui plus est. Et parfois, païenne.

Un état d’ivresse spirituelle te caractérise. D’ailleurs vous parlez vous-mêmes, ô soufis, d’annihilation de l’ego pour parvenir à la conscience de la présence de l’action de Dieu.

Vous en rajoutez une couche : le soufi ferait ensuite un second voyage vers le monde extérieur qu’il a dans un premier temps rejeté.

Bref toi t’as pigé que les musulmans soufis recherchent l’intériorisation, la contemplation, la sagesse, tendent vers le non-attachement aux choses de ce monde. Que l’amour tient une place centrale dans l’enseignement soufi : le Traité de l’amour d’Ibn Arabi et Le Livre de l’amour de l’imam al-Ghazâlî Et là tu te dis Eh ben voilà Ils l’ont cherché, hein, les soufis. Ils savent bien que ça plaît pas, tout ça, à ceux qui haïssent La vie Les Juifs les Coptes La musique L’amour.

Alors quoi ? Evidemment que les salafistes ils considèrent ces pratiques comme déviantes Quelle idée T’apprends que certains soufis ils seraient allés jusqu’au maraboutisme ? Quoi. Même toi tu commences à le savoir le tarif : le maraboutisme il est passible de la peine de mort selon la charia. Quoi. Ils vont s’étonner, après, les soufis, que l’Etat islamique et leurs potes les regardent comme des apostats ? Ben non. Ils peuvent pas s’étonner. Cet affrontement soufis versus anti-soufis donna même lieu jadis à une querelle d’experts et les soufis, ils se sont déjà vus infliger la destruction de leurs mosquées. Les soufis, en 1979, la République islamique iranienne les persécuta,  et dans la plupart des autres pays musulmans les attaques contre eux étaient pléthore, venues pour l’essentiel des salafistes. Celui-là fut crucifié, tel autre accusé d’hérésie fut écorché vif, pendu, et jeté au feu, celui-là encore brûlé sur un bûcher, cet autre enfin déporté. Tous, toujours, pour hérésie. Bref si tu veux étudier la chose, voilà je t’indique des pistes[1].

Toi, depuis le massacre d’hier, l’attentat terroriste islamiste en Egypte dans une mosquée du Sinaï et les au moins 305 morts, t’écoutes : l’AFP confirme ce que décrivent des témoins. Des assaillants qui arrivent masqués. Vêtus d’uniformes militaires. Au volant de quatre 4×4. Qui encerclent la mosquée. Lancent des bombes. Ouvrent le feu sur les fidèles. Tirent aussi sur les ambulances.

Ben quoi ? C’est eux c’est les barbares. Les terroristes islamistes. La branche égyptienne du groupe djihadiste Etat islamique. Pourtant traqués dans cette région par les forces de sécurité.

Ça se passe où tout ça ? Précisément à Bir Al-Abed. Dans ce Sinaï Nord fréquemment cible d’attentats. Tu entends que la mosquée Al-Rawdah est fréquentée par des adeptes du soufisme. Tu te souviens alors que l’an passé, Daech avait enlevé puis décapité un vieux chef soufi, accusé de pratiquer la sorcellerie.

Ils ont pas encore revendiqué. Mais même toi tu sais que le modus operandi élaboré et le choix de la cible portent la signature de l’EI. Tu vas vérifier tout ça : depuis qu’il a prêté allégeance à l’EI fin 2014 sous le nom Province du Sinaï, le groupe Ansar Beit Al-Maqdis, issu de l’insurrection locale, s’est considérablement développé.

Ils ? Rappelle-toi : en décembre, la police islamique de l’EI dans le Sinaï avait menacé les soufis dans son hebdo. Al-Naba, il s’appelle, l’hebdo. Je t’avais dit qu’ils l’annonçaient toujours, leur calendrier de malheurs. Et donc, dans la foulée, ils avaient décapité deux personnes pour appartenance au soufisme. 

Une opération quasi militaire

Alors ? Cet attentat, de l’avis de tous, est un cap de plus. Une opération quasi militaire qui a donc nécessité des complicités. Une grande maîtrise du terrain. Pour s’introduire dans la ville. Amasser autant d’armes. Agir aussi longtemps sans irruption des forces de l’ordre.

T’as Sissi qui promet une vengeance terrible Une force brutale. Le Parquet égyptien qui indique ce matin qu’une trentaine d’hommes armés et portant la bannière noire de l’EI avaient pris part au massacre des fidèles. T’as l’armée qui a procédé dans la nuit à des frappes aériennes. Visant des véhicules utilisés dans l’attaque terroriste et  tuant leurs occupants.

Bien sûr t’as la troupe au grand complet, de Macron à Trump en passant par Poutine, qui condamne l’attaque, comme ils disent. T’as le pape François qu’est profondément attristé par les pertes humaines causées par l’attaque terroriste. T’as les media qui te parlent d’une lente progression de l’horreur. Comme d’hab. Chez nous en France, Boniface, Burgat, eux qui chaque jour cliquent comme des dingos sur les réseaux sociaux, moi je les ai pas entendus. Nabil Ennasri, le docteur tout neuf, il est triste mais il parle pas d’islamistes. Quant à Tariq Ramadan, ben lui pôv chéri il continue tout pareil et nous chante en gros que nous en Occident on s’en fout et la preuve  on n’a pas dit Je suis Sinaï. 

Toi. Tu te dis que le monde est sur le qui-vive. Quelle sera leur prochaine cible. Je parle des islamistes. Tu sais ? Des terroristes islamistes. Ceux que personne ne veut nommer. De leur stratégie froide et calculée. Arriver jusqu’à 20 km du chef-lieu du Sinaï, c’est tout de même une fortiche opération orchestrée par cette bande d’enfoirés. Mais moi, j’en ai entendu un seul, sur France Info, Hasni Abidi, politologue spécialiste du monde arabe, qui évoquât des islamistes comme responsables de l’affaire. 

La charia light

Rallumés les réseaux sociaux. Y a toi qui me dis Et pourquoi t’as pas parlé des attentats à la bombe contre les églises coptes. C’est vrai pourquoi j’en ai pas davantage parlé. En tout cas, nous, en France, on a appuyé sur le bouton off de la Tour Eiffel.

Ça va être compliqué de le construire, l’avenir, avec d’un côté toi qui persistes dans le déni, et puis en face toi qui me dis Ah ben oui mais c’est pas du jeu les musulmans ils sont pas descendus dans la rue. Toi qui me cloues le bec en citant le poète, chanteur et homme politique kabyle Ferhat Mehenni : L’islam, c’est l’islamisme au repos. L’islamisme, c’est l’islam en activité. Toi qui en veux pas de mon post et qui même me le corrige poliment : Sarah. Vous dites qu’il s’appelle islamiste et pas musulman. Je me permets de corriger: L’ennemi commun s’appelle l’Islam (coran, mahomet, hadith) qui est la source empoisonnée et pas le musulman ou la musulmane. Enfin y a toi qui m’assènes : ça existe pas l’Islam et la charia  light ! Il y a l’islam tout court, lequel est conquérant depuis sa création et Toi qui y mets la meilleure volonté du monde et qui conclus : Difficile de lire la différence entre Islamistes membres de l’islamisme, mouvement politique de l’islam, Et islamique, tout ce qui se rapporte à la religion musulmane.

Moi ? Je me souviens, pendant le procès Merah, du jour où on parla des victimes de l’école juive. Ma pote musulmane elle écrivit  Je ne suis pas juive et j’ai la rage au ventre face à ce qui s’est passé sous nos yeux.

En gros, tu l’auras compris : je ne suis pas musulmane et j’ai la rage au ventre devant ce qui se passe sous nos yeux. Des terroristes islamistes qui tuent de tous les côtés et qu’on se refuse encore à nommer. Comme si ça pouvait faire plus mal.

Non : nous, on éteint la Tour Eiffel.

Sarah Cattan

[1] Lettre ouverte à celui qui critique le soufisme. Cheikh al-Alawî. Éditions La Caravane. 2001

Qu’est ce que le soufisme. Martin Lings. Seuil. Collection Points Sagesses.

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9 Comments

  1. Mille Merci pour ces éclaircissements et ces pensées.
    (T’vois, l’écrire, ya un moment, faire djeun et cool, c’est gravum. La différence entre Être et Faire ! Mais surtout : Merci pour l’éclaircissement et ces pensées)
    😉

  2. Que disent, de ce massacre anti-Soufi, l’hyper-Trotskyste islamophile Edwy Plenel, le faux jeton Frère musulman Tarek Ramadan, le fervent islamo-gauchiste Edgar Morin, suivi de ses nombreux adeptes…?
    On n’a pas le choix, Sarah Cattan : avant, pendant et après Noël, il nous faut continuer à résister. C’est ce qu’avait fait en son temps Emile Zola pour défendre le Capitaine Dreyfus.
    Le Sionisme, le Sophisme : même combat.

  3. Le style est en harmonie avec le contenu que chacun peut “absorber”…du rythme et la façon de partir d’une journée personnelle pour parler des autres et des événements qui nous concernent ou non, c’est une façon habile de poser des échelles de grandeurs dans lesquelles chacune de nos 24h peut se retrouver.
    Sur l’antagonisme entre le Soufisme et l’islam orthodoxe…juste une petite réserve…jamais l’idéal de la Oumma ne sera atteint car le système tribal n’a jamais disparu et fait complexité avec les différents courants de l’Islam et sectes….certaines tribus d’Egypte ont changé d’obédience et d’alliance et le payent très cher…il y a superposition et complexification entre lecture du Coran et tribus qui rendent l’analyse de ce massacre à nuancer…
    Bien à vous tous.

    • Merci mon cher Josaphat, aussi pour la réserve qui m’eclaire et m’interroge. Donne donc du sens à l’ecriture. Qu’on l’admette ou non, on écrit pour être lu. Donc pour questionner le monde. Dialoguer. Avec vous tous ici je suis servie. Et vos silences aussi ont un sens. Évidemment. Sourire.

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