À Lagny la peur de l’Islam radical continue d’empoisonner la ville

Deux ans après la fermeture de la mosquée, la municipalité est aux prises avec d’anciens fidèles. Bien que fichés  « S » et surveillés, ces derniers sont devenus entraîneurs de foot auprès des jeunes dans l’un des clubs de la ville. L’un d’entre eux enseignait même dans une classe de CM2 dans une commune voisine.
Au fond d’une cour, les mobile-homes sont éventrés, les fenêtres arrachées, les tapis livrés à l’humidité. Seul un texte, écrit en arabe au feutre bleu sur un tableau, est resté intact, échappant étonnamment au vandalisme. Tel est aujourd’hui le décor délabré de la mosquée de Lagny-sur-Marne. Présentée comme un haut lieu du radicalisme en Seine-et-Marne, celle-ci a été l’une des premières à fermer ses portes, un mois après les attentats sanglants de novembre 2015 en France.
Ainsi, l’État avait muselé un établissement pour y faire cesser l’enseignement d’une idéologie hostile aux valeurs de la France. Appelant au djihad, et après avoir fait partir plusieurs volontaires en Syrie, son imam, Mohamed Hammoumi, n’avait pu être arrêté. Ce prédicateur salafiste s’était déjà envolé, rejoignant précipitamment l’Égypte dès 2014.
Près de deux ans plus tard, Lagny n’en a pas fini avec les suites liées à la fermeture de cette mosquée, toujours interdite d’accès. Certes, l’État a assaini la situation en appliquant ses mesures habituelles. Il a distribué diverses assignations à résidence, cloîtrant dans la ville plusieurs ex-fidèles de Mohamed Hammoumi. Il a aussi collé ses fiches «S» sur les dossiers de ces mêmes habitants. Mais ces feux de détresse administratifs, censés alerter de la dangerosité supposée d’individus pour les surveiller, ne sont pas visibles pour les élus de la commune. «On n’a pas accès à ces données», regrette le maire UDI de Lagny, Jean-Paul Michel.
Or une coopération entre services aurait pu lui éviter quelques ennuis. Par le biais d’un bouche-à-oreille plus ou moins fiable, l’élu a fini par apprendre, il y a plus d’un mois, que deux proches présumés de l’ancien imam étaient en activité dans l’une de ses associations sportives. Ainsi, et sans qu’aucune alerte n’ait été donnée par un quelconque service, Nabil Aissaoui et Keita Gaoussou sont devenus, depuis plusieurs mois, entraîneurs dans le club de football local auprès des 20-35 ans. Ils font, par ailleurs, le service d’ordre auprès des jeunes lors des matchs pour faire cesser les débordements qui empoisonnent les rencontres.
Pourtant, les deux hommes, fichés «S» et déjà condamnés, sont bien dans les radars des services spécialisés. Au sein de l’ancien foyer d’idéologie radicale enkystée dans la ville, ils étaient même loin d’être considérés comme des figurants. Selon les notes blanches des services de renseignement, Nabil Aissaoui apparaît comme le lieutenant de Mohamed Hammoumi et avait organisé une école coranique clandestine. Déjà condamné pour ces derniers faits à de la prison avec sursis, il est mis en examen, depuis juin dernier, dans le cadre d’une enquête sur une filière de recrutement pour le djihad en Syrie et placé sous contrôle judiciaire. Quant à Keita Gaoussou, autre ancien fidèle de la mosquée, il est depuis quelques jours en prison à Fleury-Mérogis. Après avoir violé son assignation à résidence pour la deuxième fois, ce père de famille de quatre enfants vient d’être condamné à 16 mois de prison ferme. Depuis septembre dernier, et en parallèle de ses activités sportives, cet ancien «prof de maths» était devenu enseignant auprès d’élèves de CM2 dans une école privée musulmane à Clichy-sous-Bois.

«Il me semble inconcevable que ces personnes puissent encadrer des jeunes»

En apprenant que ces deux hommes participaient à l’encadrement sportif, le maire UDI Jean-Paul Michel avait aussitôt réagi. «Nous savons que les entraîneurs et dirigeants sportifs transmettent des valeurs aux joueurs, avait-il écrit dans un courrier adressé le 16 octobre dernier à la préfète de Seine-et-Marne. À partir du moment où l’État considère que l’on ne peut pas permettre que ces individus, connus de vos services, transmettent des idéologies dans un lieu de prière, il me semble inconcevable que ces personnes puissent encadrer des jeunes». Puis, la semaine dernière, ce furent des discussions avec le président du club, Manuel da Silva, pour qu’il évince les deux indésirables. Enfin, ce mercredi, une réunion avec les services de la préfecture, jugée positive par la Ville, a permis à celle-ci d’obtenir le soutien de l’État.
«C’est important car on est seul à chaque fois pour faire face à ce type de situation», explique l’édile qui milite pour un échange d’informations entre autorités. «Il y en a assez de s’informer par Google pour savoir qui présente un risque ou pas sur notre ville», lâche-t-il. Peu après la fermeture de la mosquée en 2015, il avait suggéré à Beauvau – qui n’avait pas répondu – la nomination d’un référent dans les villes. «On ne peut évidemment pas faire circuler n’importe comment des données sensibles, mais ce référent qui en serait détenteur pourrait alerter les associations, les clubs, en cas de recrutement problématique. Il faut aussi que les maires sachent qui est fiché «S» sur leur secteur».
Cette éviction, que le maire compte annoncer dans sa ville, risque de créer des remous. C’est sous la pression de certains joueurs que les deux hommes auraient été pris au club. Leurs performances footballistiques ne font aucun doute mais leur religion a peut-être aussi pesé. «Ce n’est pas exclu», glisse Manuel da Silva qui, avec peine, a dû se défaire de ses deux entraîneurs. Ces deux trentenaires qui ont grandi dans la ville, connus de tous, ont des qualités qui, en effet, ont bien arrangé le club… et qui confortent aussi la ville dans son choix de les avoir écartés. Ils n’ont pas leur pareil pour faire régner l’ordre. «Depuis qu’ils sont là, il n’y a plus de carton rouge, ni de bagarre, relate le président qui redoute de se mettre à dos ses joueurs. Ils ont instauré la discipline. Je n’ai personnellement rien à leur reprocher».
Les deux entraîneurs mis sur la touche peuvent en effet compter sur des soutiens. C’est le cas notamment de Keita Gaoussou. L’un de ses amis le défend bec et ongles après avoir douté de lui. Sa pratique rigoureuse de la religion, son long séjour en Égypte en 2011, sa femme d’origine portugaise convertie à l’islam juste après le mariage, l’avaient, en effet, inquiété. «Mais c’est finalement juste un musulman qui pratique à fond l’islam au même titre que mon grand-père qui est un taré de catholique!», dit-il tandis que Me Raphaël Kempf, l’avocat de Keita Gaoussou, interroge: «Concrètement que reproche-t-on à mon client? D’avoir fréquenté la seule mosquée existante de sa ville?». Pour lui, «l’état d’urgence a dangereusement normalisé la logique du soupçon qui se diffuse aujourd’hui dans le corps social».

«On a réécrit nos vies»

Deux camps risquent désormais de s’affronter à Lagny-sur-Marne. Avec, d’un côté, les tenants d’une nécessaire politique de prévention soutenue par son maire et, de l’autre, ceux qui vont plus que jamais crier à la chasse aux musulmans. Autour de cette affaire, les discours de victimisation risquent de fleurir sur les réseaux sociaux, avec des accusations portées contre un pacte tacite entre autorités pour anéantir l’islam. Ainsi l’État a détruit la mosquée et la ville achève le travail en écartant les fidèles…. Joint par Le Figaro, Nabil Aissaoui se décrit, d’ailleurs, comme un paria. «Dans cette cité médiévale qui a accueilli Jeanne d’Arc, il n’y a pas de place pour une mosquée!, accuse-t-il. On n’en veut pas. Alors on agite des pseudo-peurs». Ce père de trois enfants veut s’ériger en martyr. Pour faire face au terrorisme, il a fallu faire des exemples et lui, comme d’autres dans la ville, a été choisi. «On a réécrit nos vies, et je n’ai rien à voir avec les attentats que je condamne. Si j’étais si dangereux, pourquoi ne pas me mettre en prison?», interroge-t-il.

“Beauvau a fermé la mosquée et nous laisse ensuite nous débrouiller”

Le maire de Lagny qui veut, au contraire, par sa décision, protéger la communauté musulmane en évitant tout amalgame, souhaite à tout prix préserver le lien avec elle. Un autre dossier sensible l’attend et qui est, une fois de plus, en rapport direct avec la mosquée. Depuis sa fermeture, les fidèles n’ont plus de salle et doivent accepter divers lieux de fortune dans la ville pour vivre leur foi. Ainsi, un temps ce fut une tente prêtée par la municipalité, un kiosque en bois, puis des prières de rue et, enfin, un terrain appartenant à l’État, d’où des Roms venaient d’être délogés. Sur 4000 m², cernés d’axes routiers et bordant l’une des cités fragiles de la ville, deux barnums géants sont désormais installés depuis mai dernier.
«Depuis le début, nous demandons l’aide de l’État pour trouver une solution acceptable pour tous», relate Pierre Tebaldini, le directeur de cabinet du maire, en fulminant: «Beauvau a fermé la mosquée et nous laisse ensuite nous débrouiller avec des centaines de pratiquants sans ressources». Or, à ce jour, les divers courriers adressés au ministère de l’Intérieur pour réfléchir à un redémarrage de la vie cultuelle, n’ont guère abouti. Une situation qui ne devrait pas s’améliorer. La commune, qui deviendra propriétaire de ces 4000 m² de terrain le 27 novembre prochain, a prié les musulmans de plier leurs barnums. «Nous voulons y installer un pôle solidaire et accueillir plusieurs associations», indique Pierre Tebaldini. «Mais nous n’avons pas de local où aller», réagit Manuel Turiault, responsable de la nouvelle association religieuse, Es-Salam, dans la ville. Les prières de rue pourraient alors bien reprendre. Pour Pierre Tebaldini, laisser cette situation en l’état c’est «prendre le risque d’un repli communautaire et d’une radicalisation

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