« Vivre ensemble » interview de Emilie Frèche

C’est le livre choc de la rentrée
Nous avons rencontré Emilie Frèche habituée de nos colonnes pour parler de son dernier ouvrage « Vivre Ensemble »

Entretien :

Tribune Juive : Ce livre est né au lendemain des attentats de novembre 2015.
Que vous ont inspiré ces événements ?

Emilie Frèche : Comme tout le monde je crois, de la peur d’abord, de la colère ensuite. Et de la colère notamment face à la réponse politique qui était apportée à cette violence sans pareil. Une réponse qui était devenue un pur élément de langage qu’on nous répétait comme un mantra depuis 83 aux municipales de Dreux contre l’alliance RPR-FN, que la gauche et les anti-racistes avaient repris en chœur pour lutter, sans succès, contre la montée du FN, et qu’on allait maintenant utiliser pour venir à bout des terroristes islamistes – je veux parler bien sûr de ce fameux « vivre-ensemble », formule substantivée totalement vide de sens. Et là où la politique avait perdu la bataille des mots, il me semblait que la littérature avait un rôle à jouer : donner à voir, au travers d’une fiction, ce que ces deux mots débarrassés de leur trait-d’union signifiaient réellement – un partage de territoire comme une expérience quotidienne de la violence, celle des autres, mais aussi la sienne.

Tribune Juive : Vous utilisez la cellule familiale comme point d’observation de la difficulté à mettre en pratique ce fameux “vivre ensemble » vivre ensemble c’est se disputer son territoire ?

Emilie Frèche : Il me semble que la famille est notre première expérience politique, que de la même manière qu’on fait famille, on fait société, et qu’il est aussi difficile de se partager une salle-de-bains qu’une région. C’est pourquoi la famille, et en particulier la famille recomposée où l’on doit vivre avec des étrangers qui nous sont imposés – un beau-père, un beau-fils, une belle-mère, etc. – m’est apparue comme un objet d’étude et d’observation passionnant pour ce sujet.

Tribune Juive : Pour vous, le vivre ensemble touche le plus de champs possibles et englobe une multitude de thématiques. Le « Vivre ensemble » prend -il ici tout son sens ?

Emilie Frèche : Vivre ensemble est l’aventure la plus ancienne, la plus riche, et la plus incontournable qui nous est proposée, car comme disait Truffaut, « on ne peut pas se passer d’aimer et d’être aimé ». Mais c’est aussi l’expérience la plus risquée et la plus dangereuse. N’oublions pas que dans la bible, la première histoire de fraternité qui nous est contée est un fratricide, celui d’Abel par son frère Caïn.

Tribune Juive : Ce roman est provocant et secoue les convenances. Est il auto biographique ou auto fiction ?

Emilie Frèche : Il secoue les convenances parce qu’il s’attaque au dernier tabou de notre société : l’enfant, présenté non pas comme un être adorable ou comme un victime, mais comme l’agresseur. Et ce n’est pas socialement audible d’affirmer qu’un enfant pose problème. Mais c’est la réalité pour des milliers de gens qui vivent avec des enfants qui ne sont pas les leurs. Le roman, disait Stendhal, est un miroir qu’on balade le long du chemin. Et même quand ce chemin n’est pas beau à voir, ou qu’il dérange, il faut pouvoir le montrer.

Tribune Juive : Vous vous inspirez d’une réalité transformée, pourquoi parlez vous de l’enfant du compagnon de l’héroïne, dans des termes qui mettent mal à l’aise ?

Emilie Frèche : Parce que c’est le personnage que j’ai créé ! Parce que je voulais retranscrire la stupeur, la colère, l’impuissance qu’on éprouve face à un enfant difficile – autant de sentiments qui sont, je crois, universels. Nous ne sommes pas des êtres parfaits et impassibles qui pourraient tout supporter de la part d’un enfant, simplement parce qu’il est un enfant. Et Déborah, mûe par l’amour qu’elle a pour Pierre, me semble particulièrement patiente avec Salomon, le fils de ce dernier. Elle est celle qui lui prépare des bons petits plats, qui s’occupe de lui une semaine sur deux, qui trouve un psychiatre pour soigner son mal-être… Neuf femmes sur dix auraient déjà jeté l’éponge, à sa place.

Tribune Juive : Comment avez vous fait face à la polémique médiatique ?

Emilie Frèche : Une ex-femme qui crie à l’atteinte à la vie privée de son enfant tout en la donnant à voir à la France entière dans une interview fracassante, qui dit ensuite que cet enfant-là est mis en danger par sa belle-mère écrivain à qui elle le laisse pourtant une semaine sur deux alors qu’elle en a juridiquement la garde pleine, pour finalement révéler qu’elle n’a qu’un seul objectif, tenter de se faire de l’argent sur le dos d’un auteur puisqu’elle a tenté de m’extorquer 55 000 euros – je crois que personne n’est dupe… La polémique est passée comme un bref coup de vent et le livre fait sa route, les lecteurs me donnant une joie immense par tous les retours qu’ils me font sur le texte. Il n’y a finalement que pour l’enfant en question que cette affaire est terrible : il pense désormais, alors qu’il va très bien, que sa maman le voit comme Salomon, le personnage violent et mal dans sa peau de “ Vivre ensemble ”.

Propos recueillis par
Sylvie Bensaid

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