Sarah Cattan : interview de Marek Halter qui veut tous les réconcilier

Son QG, c’est place des Vosges, plus précisément au Restaurant Ma Bourgogne. Son assistante vous prévient qu’il est très matinal, et incontestablement, il est en verve, Marek Halter, celui que seul le Président El Sebsi s’autorise à appeler jeune homme : Forcément, ajoute malicieusement l’écrivain, il est plus âgé que moi.

Chaleureux, attentif, délicat, un brin cabot, cette montagne d’érudition que nous rencontrons de bon matin fait montre d’une extrême bienveillance tout en vous racontant des histoires à n’en plus finir : Arafat, Golda Meir, Sharon, le Pape François, qui ne rencontra-t-il pas, l’auteur de La mémoire d’Abraham, d’une série sur les femmes de la Bible, Sarah, Tsippora et Lilah, plus récemment de Eve, livre d’une rare violence où l’on rencontre des idolâtres primaires et barbares qui déjà nous firent penser à Daech. Cet homme, il a ensuite rédigé dans l’urgence après les attentats du 7 janvier Réconciliez-vous, suivi de Où allons-nous, mes amis, sorti il y a une semaine.

Conversation à bâtons rompus avec l’auteur de Où allons-nous, mes amis ? Si d’évidence cet homme aime à se mettre en scène, nous, à l’écouter, intarissable, on entend combien le touchent les malheurs du monde.

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Tribune juive : Marek Halter, pourquoi ce court essai ?

Marek Halter : Au moment de la création d’Israël, un grand débat s’instaura ; j’en ai parlé avec Ben Gourion, beaucoup plus tard ; c’est lui qui avait raison ! La question était de savoir quelle serait la langue de l’Etat juif. Bien sûr, la plupart de ceux qui avaient créé Israël, qui étaient allés dans les kibboutz, ceux qui créèrent la Histradrout[1], étaient des gens d’Europe centrale, qui parlaient le yiddish. Les mémoires de Gluckel Von Hameln, tableau détaillé de la vie juive dans l’Allemagne du XVIIème et XVIIIème siècles, sont écrits en yiddish. A Varsovie, sur un million d’habitants dont 470 000 Juifs, tout le monde parlait yiddish, et le Polonais qui voulait faire de la politique apprenait le yiddish, langue parlée par 11% de la population polonaise ! Eh bien Ben Gourion s’est opposé, il a dit : non, le peuple juif ne peut être éparpillé, une partie ne connaît pas le yiddish, il faut prendre l’exemple du ciment, leur donner le ciment qui prendra sur tout le monde et collera toutes les briques, sinon ça ne marchera pas. Vous savez, les Juifs, sur le plan verbal, sont assez violents et on dit à raison : si tu as 2 juifs, tu as 3 partis. Ben Gourion a imposé par la force l’hébreu et il avait raison. Ce ciment, c’est ce qui nous manque aujourd’hui, en France.

Tribune juive : Où allons-nous, mes amis, c’est à nouveau un plaidoyer pour la paix, après Réconciliez-vous ?

Marek Halter : Pour parler de la paix, il y eut toujours des hommes de bonne volonté. Conscients de l’importance d’un dialogue direct avec les Palestiniens, mon épouse Clara et moi avons été parmi les premiers à agir. Nous sommes allés rencontrer ceux qui faisaient la politique au Caire, à Tunis… dès la fin des années 1960. Sans hélas aboutir à la paix… Puis, malheureusement, Rabbin a été tué. Par un Juif, c’est ça le pire ! L’assassinat de Rabbin était un meurtre politique.

Aujourd’hui, il y a un milliard 300 millions de musulmans. Et les tensions interreligieuses s’accentuent. Si nous devions nous faire la guerre, ce serait une guerre de religion, des massacres sans fin. A Tunis où j’étais il y a quelques jours, lors d’une interview télévisée, on m’a demandé ce que je dirais si je devais parler aux gens de Daesh. Je leur dirais de lire le Coran, ai-je répondu.

Tribune juive : Vous conseilleriez aux terroristes de lire le Coran ?

Marek Halter :

Bien sûr. Les trois livres sont des livres révélés. Dieu a dicté La Torah à Moïse, Les Evangiles à son fils, et Le Coran à l’Ange Gabriel. Quand on lit de près Le Coran, et moi j’ai lu Le Coran, les hadits et la sunna, on voit qu’il est composé sur le même mode que Le Talmud : le rabbin tel et tel, répétant ce qu’a dit le rabbin tel et tel, qui a entendu parler du rabbin tel et tel… Le Coran, c’est pareil : untel a entendu de la bouche d’untel qui a entendu de la bouche d’untel… jusqu’à celui qui a entendu le récit de la bouche du Prophète. Et l’histoire se perpétue ! Quelques grands chercheurs musulmans comme al-Boukhâri ont fait un travail de détectives pour retrouver le nom des témoins. J’ai vécu quelques mois à Boukhara en Ouzbékistan, la ville où est né ce savant, et si je le cite, c’est pour montrer que l’on peut être un grand commentateur de l’islam en venant de l’Asie centrale, sans être arabe. Comme Avicenne, le traducteur d’Aristote, ou Averroès qui a vécu dans les califats, avec les juifs, et qui, avec Maïmonide, a traduit en arabe de nombreux textes grecs. Si nous connaissons la philosophie grecque aujourd’hui, c’est grâce à eux. Alors quand on nous raconte que c’est une autre civilisation… Nous appartenons tous à une même tradition. Levi Strauss parlait de civilisations qui s’organisaient autour de la religion, je pense, moi, qu’à partir de la naissance du monothéisme, nous appartenons à la même démarche. A partir du moment où l’homme a accepté l’idée de dieu Un, la démarche est la même, qu’elle soit en arabe ou pas. D’ailleurs, dans Le Coran, il est écrit : Celui qui n’a pas lu la Torah et les Evangiles ne peut rien construire de solide.

Donc ceux qui tuent aujourd’hui s’appuient sur quelques hadiths mais s’opposent à d’autres, et notamment à la parole du Coran. Je vous donne un exemple : en décembre 2016, l’ambassadeur de Russie fut tué à Ankara, le terroriste ayant agi sur ordre d’un prédicateur turc en exil. On a des images. L’assassin tire en criant Allah Akbar, Alep est vengé. Ce qu’il ignore, c’est que plusieurs phrases du Coran protègent les ambassadeurs : ils étaient très importants pour Mahomet, qui, voulant convertir le monde, envoya des ambassadeurs en proposant aux rois des différents royaumes la conversion et un grand pacte d’amitié. Mahomet voulait qu’on respecte ses ambassadeurs et fut le premier à demander l’immunité pour eux. Alors oui il y a dans Le Coran des passages guerriers… Mais ils sont nombreux aussi, dans La Bible, les cas où deux royaumes juifs se faisaient la guerre. Judas et Israël. La Bible c’est violent ! Isaïe le prophète a été scié en deux pour avoir critiqué le roi !

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Tribune juive : Mahomet voulait convertir le monde, déjà…

Marek Halter : C’est ça la différence avec les Juifs… Elie Wiesel disait : Les Juifs ne veulent pas convertir le monde, ils veulent l’humaniser, un peu.

Tribune juive : Marek Halter, l’islamophobie, comment la définissez-vous ?

Marek Halter : l’islamophobie ce n’est pas la peur, mais le rejet de l’islam. Une allergie. Le mot est perverti. Il y a une différence entre mes camarades et moi. Nous savons tous qu’il y a danger. Nous avons découvert l’islam dans des conditions dramatiques, des gens s’en réclamant tuent. Indistinctement, on a peur. Soumission de Houellebecq et Michel Onfray entre autres se demandent comment on peut combattre ça. Tous, à raison ou à tort, jugent ces assassins au nom d’une idéologie qui est la nôtre, l’homme universel, qui vient des Lumières.

Tribune juive : Pas vous ?

Marek Halter : Oui Le Traité de la tolérance de Voltaire, ou encore Locke, s’appuient là-dessus, donc sur une idéologie, pour combattre des agissements fondés sur une autre idéologie. C’est comme les débats entre les communistes et leurs opposants à l’époque de l’Union soviétique. Moi, je fais aujourd’hui une démarche complètement différente : si j’oppose mon idéologie, ma culture, mes traditions, à leur idéologie, leur culture, leurs traditions, je me mets dans une situation de guerre. Rappelez-vous ce petit dialogue entre les frères Karamazov chez Dostoïevski : Eliosha Karamazov demande à Yvan : Je n’aime pas le voisin. Comment je le lui dis ? Yvan répond : Tu lui dis d’abord que tu l’aimes et après tu lui dis pourquoi tu ne l’aimes pas.

Tribune juive : C’est ce que vous prônez ?

Marek Halter : Oui. Mais, pour pouvoir le faire il faut connaître l’autre! On a reproché à Hannah Arendt d’avoir, dans Eichmann à Jérusalem, humanisé Eichmann. Elle répondit : Connaître son ennemi est parfois aussi important que se connaître soi-même. Quand je vais à Saint-Denis avec l’imam Chalghoumi, je suis salué ! Les gens sont accueillants. Je ne leur parle pas de moi, j’essaie de les valoriser. Je cite leur Texte qu’ils ne le connaissent pas. Ce qui me permet après de leur dire que je trouve leur religion magnifique. Entendons-nous bien : je ne veux pas me convertir ! J’ai ce qu’il me faut à la maison ! Mais il n’empêche que eux ont gardé quelques préceptes de la Bible que nous avons oubliés : ils se déchaussent à la mosquée ; quand Moïse entend la voix de Dieu, dans cet arbuste qui brûle et ne se consume pas, la voix lui dit : enlève tes sandales, tu vas marcher sur le sol sacré. Avant, dans les premières synagogues, on enlevait nos chaussures, conscients que nous marchions sur un sol sacré. Après, lorsque nous nous sommes retrouvés dans des endroits enneigés, en Sibérie, en Russie, nous avons cessé de nous déchausser. Il y a plein de traditions que eux ont gardées et nous pas. Alors moi, je leur raconte tout ça. Ça les amuse, les gens aiment bien savoir, ils ont soif de connaître. Si l’un d’eux conteste, je lui dis : tu as un Coran, apporte-le. Regarde : 32-5… Je me suis rendu compte qu’on peut gagner la cause des humains si on les valorise. D’abord leur dire pourquoi on les aime. On les aime car ils ont inventé les mathématiques, l’algèbre, un mot arabe, al- jabr, qui signifie réduction. Si nous connaissons Aristote, c’est grâce à la traduction d’Avicenne. Enfin, on leur doit la première littérature érotique avec les Mille et Une Nuits. Ce fut une révolution en Europe quand Galland traduisit Les Mille et Une Nuits : toute la littérature amoureuse en France vient de là, beaucoup l’ignorent. De même, peu de Juifs connaissent l’histoire de Tsippora : la femme de Moïse était noire, et c’est grâce à la noirceur de la peau de sa femme que Moïse a compris la diversité de l’humanité à laquelle il allait s’adresser. J’en ai fait un roman. Tsippora fut un best seller aux Etats-Unis et un jour, sur la 5ème avenue, quelques femmes sortant de Fifth avenue synagogue m’ont reconnu car je venais de passer à la télé. Mister Halter are you sure that she was Black ? Cette observante ne le savait pas, et peut-être même ça l’emmerdait ?

Tribune juive : Les religions, de quoi sont-elles porteuses ?

Marek Halter :

les religions, porteuses de l’état de la violence, sont aussi porteuses des premières idées de générosité. Le mot justice apparaît avec Abraham, liberté avec Moïse, les religions nous ont amené à ce très beau texte qu’est La déclaration universelle des droits de l’homme : les gens ignorent que ce texte était en partie inscrit dans les Tables de la Loi ! Lorsque je suis arrivé en France avec ma famille, nous n’avions pas de papiers : nous devions nous présenter au commissariat toutes les semaines. Je ne savais pas encore lire le français ; en voyant ces Tables de la Loi dans tous les commissariats, j’ai dit à ma mère : tu sais, ils sont tous juifs ! Pour les révolutionnaires c’était naturel, parce que Les 10 commandements, c’était la base-même de leur démarche.

Tribune juive : Alors Marek Halter, aujourd’hui, on fait quoi ?

Marek Halter : Je ne sais pas jouer avec les réseaux sociaux mais des assistantes le font pour moi. Je me dis si nous commençons à nous attaquer aux djihadistes, c’est la guerre verbale qui commence. Au lieu de cela, sortons le texte sacré de l’islam et mettons-le en contradiction avec leur propre religion. Ce n’est pas au nom de la République que je vous condamne. Je vous condamne au nom de votre religion.

Tribune juive : Ils sont où, les musulmans pacifistes ?

Marek Halter : Plein de gens me disent : oui tes amis musulmans, on ne les voit pas quand il faut protester contre les assassinats. Encore que, après Charlie, au premier rang, plusieurs imams se sont mobilisés, y compris le Recteur de la grande Mosquée de Paris, pour montrer qu’il y avait des rabbins mais aussi des imams.

Avec quelques amis musulmans, nous préparons une Marche contre le terrorisme. Je suis allé voir un certain nombre d’imams, certains ont refusé de participer, m’opposant cet argument : Pourquoi veux-tu que nous on manifeste ? On est comme toi, comme tous les Français.

Tribune juive : Cet argument est recevable ?

Marek Halter : Oui et non. Quand en 1985 un juif religieux tue 29 Palestiniens près du Caveau des Patriarches à Hébron, moi j’ai organisé une manif ! Moi je suis Juif, je défends certaines valeurs, je me suis choisi Juif, je ne suis pas obligé de rester Juif, et si j’affirme ma judéité c’est parce qu’il y a là des valeurs auxquelles je tiens. Or quelqu’un, au nom de cette judéité, se donne le droit d’ôter la vie à vingt-neuf personnes, m’englobant par son acte : je me sens concerné. C’est la fameuse question posée par Dieu à Caïn : Qu’as-tu fait de ton frère ? A la réponse de Caïn Suis-je le gardien de mon frère, je répondrais que oui, nous sommes les gardiens de nos frères, c’est comme ça, sinon on devient des chats, des chiens. Alors oui : tous des barbares : barbares les Arabes, barbares les Romains, barbares les Grecs, les Assyriens, les Juifs… On oublie que l’autre en face de nous n’est pas nous. On se ressemble mais vous êtes un autre. Pour nous parler, il faut dépasser nos traditions, nos histoires. On veut que l’autre soit comme nous et ce n’est pas possible. Nous sommes tous des humains, nous aimons, nous haïssons, nous avons des problèmes, nous mourrons tous, mais nous avons des mémoires différentes ; des traditions différentes ; Fernand Braudel a dit en 1986 La France se nomme diversité et quand Macron l’a dit, lui, il s’est fait engueuler…

Tribune juive : La démocratie ?

Marek Halter : Le problème de la démocratie, ce sont les élections libres ; on a exigé des Palestiniens qu’ils organisent des élections ; ils l’ont fait et le Hamas a gagné ; ça ne nous a pas plu, on a imposé l’OLP, on a dit si c’est Hamas on n’aide pas ; les Américains aussi, et voilà comment le Hamas a pris le pouvoir par la force à Gaza. Cela rappelle les premières années de l’indépendance de l’Algérie et tous ces massacres. Les Algériens ont choisi d’autres dirigeants et ça ne nous a pas plu. Les élections libres sont pourtant la seule démonstration de l’esprit démocratique. Or nous entrons dans un monde différent ; un monde est fini ; on ne s’en rend pas compte tout à fait car ça se passe sans rupture, sans révolution. Nous serions dans un train qui avance ; le paysage a déjà changé mais c’est pourtant le même train ; lorsqu’on sort le matin, c’est toujours la même police, la même armée ; pourtant on est ailleurs ; d’abord sur le plan technologique et là, c’est l’occasion de rendre hommage à Shimon Peres car c’est grâce à lui qu’Israël est devenue la première start up du monde ; Tel Aviv est plus importante que la Silicon Valley ; il fut le premier à nous parler de nanotechnologie ; micro technologie ; il a dit le premier le monde de demain ce sera ça. Et à partir de là, notre rapport à l’autre change, notre rapport au travail change. Hamon n’a pas tort quand il dit que le rapport au travail va changer. La valeur travail ne sera plus au centre de nos préoccupations, donc le marxisme n’a plus de raison d’être. On pourra fabriquer, vendre, acheter tout. Alors bien sûr il faut prévoir tout ça ; il n’y aura plus d’usines. C’est ce que j’essaie de dire : lorsqu’une maladie apparaît, le plus important est le diagnostic. Pour trouver le traitement. Aujourd’hui nous avons peur. Peur de la technologie qui va nous dépasser. Peur pour l’avenir de nos enfants. Comment vivront-ils et travailleront-ils ; l’éducation et l’école répondront-elle aux exigences de demain ?

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Tribune juive : Vous décrivez un monde sans idéologie ?

Marek Halter : Dans un monde sans idéologie, ce sera Dieu qui décidera. L’homme ne peut pas vivre sans idéologie car l’homme ne peut pas vivre sans espoir. Il sait qu’il est mortel. Nos aïeux ont inventé de grands espoirs laïcs et universels : les Lumières. Nous sommes tous des hommes, avons tous les mêmes exigences, nous avons besoin de savoir que nos enfants vivront dans un monde meilleur que le nôtre, ce qu’on appelle le progrès, qu’il soit technologique, médical, on ne parlait pas encore d’écologie… Eh bien cette idéologie laïque qui a fait bouger des milliards d’individus, c’est fini, on n’y croit plus.

Tribune juive : Par quoi est-ce remplacé ?

Marek Halter : Par les religions.

Tribune juive : Les religions ou la religion?

Marek Halter : Les religions. Quand l’enfant a mal il crie maman ; un groupe humain qui a mal crie Ô mon Dieu. Malraux avait compris que l’homme ne peut pas vivre dans un vide d’espoir. Or qu’est-ce qui peut entretenir l’espoir ? Quand je suis arrivé en France en 1950, le parti communiste organisait des manifs ; de la République à la Bastille. Un million de personnes. Une forêt de drapeaux rouges. C’était impressionnant. Aujourd’hui les communistes ne peuvent mobiliser que 300 personnes tout au plus, tandis que, sur la place Saint Pierre, le Pape réunit plus d’un million de personnes et, autour de la Kaaba à la Mecque, les jours de pèlerinage, il y a plus de deux millions de personnes qui tournent en rond. Enfin, devant le Mur des Lamentations le soir de Kippour, il y a des centaines de milliers de Juifs : Dieu aujourd’hui est le seul capable de mobiliser les hommes autour d’un espoir commun. Alors, même si nous sommes laïcs, nous devons affronter la réalité et l’expliquer aux enfants, en introduisant dans toutes les écoles de la République des cours d’histoire des religions.

Tribune juive : Prônant des cours d’histoire de la religion, vous êtes à contre-courant ?

Marek Halter : Oui bien sûr ; car on peut raconter l’histoire du petit Moïse, du petit Mahomet, du petit Jésus comme on raconte Le Petit Prince et l’enfant, quand il grandira, ne sera pas surpris de voir que son voisin va à la synagogue. Il ne sera pas choqué et dira : toi tu préfères Moïse ; il saura que le petit Mahomet admirait le petit Moïse car c’est écrit dans le Coran : pour Mahomet le plus grand c’était son grand frère, en arabe Moussa, Mûsa ou Moïse dans la Bible, et comme il admirait Moïse, il était sioniste ! Il faut lire Le Coran (V, 20-21) ! Il est écrit : Quand Moïse dit à son peuple : ”Ô mon peuple ! Rappelez-vous le bienfait de Dieu sur vous, quand Il a désigné parmi vous des prophètes, qu’Il a fait de vous des rois et qu’Il vous a donné ce qu’Il n’a donné à nul autre au monde. Ô mon peuple ! Entrez dans la terre sainte que Dieu vous a prescrite. Et ne revenez point sur vos pas, car vous retourneriez perdants.” C’est aussi, d’ailleurs, ce que dit Moïse aux Juifs quand ils se révoltent contre lui : vous êtes un peuple à la nuque raide. Ce que dit le Prophète sur les Juifs, personne ne le dira jamais, car les Juifs sont et se voient être. Un des rares peuples à avoir introduit dans la Bible un corpus qui s’appelle Les Prophètes où il n’y a que des critiques du judaïsme, enfin des Juifs tels qu’ils étaient alors…

Tribune juive : Cette ouverture extrême manque aux musulmans.

Marek Halter : Ils l’ont aussi ! Je pars du principe que puisque nous rentrons dans un monde dominé par les religions, il faut donc mobiliser les religions, très vite, pour trouver un projet en commun ; sinon on va vers une guerre de religion. La pire qui existe car on tue gaiement, pensant qu’on va au Paradis. Il y a un mois, j’étais avec mon ami Chalghoumi et quelques imams à la télé égyptienne. J’ai dit : Je fais appel à ceux qui pensent qu’en tuant au nom de l’islam ils iront au Paradis ; vous n’irez pas au Paradis car le Prophète ne veut pas d’assassins.

Tribune juive : Alors, Marek Halter, cette nouvelle marche ?

Marek Halter : Pour revenir à l’esprit de la Marche, nous avons voulu faire partir début novembre de Molenbeek à Bruxelles et arriver le 13 à Paris au Bataclan, et le gouvernement aurait été là ; je n’ai pas trouvé l’argent ; les marcheurs sont gratuits mais il faut les nourrir, les loger… mille marcheurs, toutes les télés du monde, et derrière, tous ceux qui veulent se solidariser… le Grand rabbin Haim Korsia était prêt de marcher avec nous. Mais quinze nuits, mille chambres, je suis allé voir des millionnaires… Sans résultat. La générosité ne court par les rues. On a donc modifié notre projet : le groupe Lagardère organise chaque 14 juillet sur le Champ de Mars un grand concert qui réunit de 500 000 à un million de personnes entre le Mur pour la Paix de mon épouse Clara Halter et la tour Eiffel. L’idée est de louer des autocars, de rassembler 200 imams, accompagnés des personnes qui le souhaiteraient avec leurs propres voitures. Le cortège, encadré par la police, fera le tour de l’Europe, des lieux où des assassins ont tué au nom de l’islam : Berlin, Molenbeek, Saint-Etienne-du-Rouvray… En chaque lieu, la délégation d’imams dira une prière en arabe, un peu comme lorsque j’ai invité 17 imams à Yad Vashem à Jérusalem où ils ont dit une prière à la mémoire des six millions de morts juifs, paumes levées vers le ciel… La photo de ce moment a fait le tour du monde ! Peu après, avec dix autres imams, nous sommes allés à Rome pour rencontrer le pape François. Donc, nos autocars s’arrêteront dans tous les lieux récemment touchés par le terrorisme en Belgique, en France, Nice, Toulouse et Paris le matin du 14. Descente des bus devant le Mur de la Paix, qui sera d’ici-là restauré grâce à un bienfaiteur juif du Caucase. Vous savez, ces descendants des Khazars que l’on nomme Juifs des montagnes… Il y a encore des villages cent pour cent Juifs en Azerbaïdjan. Portant kippa et papillotes. On les appelle les Gorskyie Yevrei. Le président de la Fédération des Juifs des montagnes est ce bienfaiteur.

Il y aura donc ce jour, devant la tour Eiffel, la tribune qui accueillera le concert du 14 juillet. Les imams, entourés par les policiers et les scouts musulmans, traverseront la foule jusqu’à la tribune où il se feront applaudir par la République.

Tribune juive : Décomplexer le musulman?

Marek Halter : Quand on arrête d’humilier un homme, il devient un homme. Il y a donc beaucoup de choses à faire. Tous les imams disent : quand Mahomet a fui la Mecque polythéiste, où on voulait le tuer, il s’identifia à Moïse qui avait fuit l’Egypte et l’esclavage. Cette fuite de la Mecque pour Médine marque le début du calendrier musulman. Médine est alors une ville habitée majoritairement par les Juifs. Mahomet sait que les Juifs les protégeront. Cependant, les Juifs pensent qu’il se convertira au judaïsme, et lui croit que les Juifs deviendront musulmans. Pour leur plaire, il reprend leurs traditions : il introduit la circoncision, le cacherout-hallal, le shabbat, le kippour-Achoura, et la prière, visage tourné vers Jérusalem. Quand il se rend compte que les Juifs ne le suivront pas…

Tribune juive : vos amis musulmans sont observants, apostats ?

Marek Halter : Je ne leur demande pas …

Tribune juive : Vous êtes partisan d’une paix avec deux Etats ?

Marek Halter : Oui nous avons essayé, on peut dire que nous avons même réussi, puisqu’un accord a été signé entre les Israéliens et les Palestiniens. Nous nous souvenons tous de la fameuse poignée de main entre Rabbin et Arafat sur le perron de la Maison blanche. Mais voilà, Rabbin a été tué…

Je dis nous car tout seul on ne peut rien faire. On peut comme l’abbé Pierre pousser un cri à la radio : au secours ! Oui, je fais l’apologie du cri. D’ailleurs, prophète en hébreu se dit nabi, ça vient du mot acadien nabu qui veut dire le cri. C’étaient des hommes qui criaient. La Bible dit qu’un jour, le prophète Isaïe s’est mis à courir à Jérusalem. Nu, il criait. La foule courait derrière lui, pensant qu’il était fou. Devant le temple il s’est rhabillé et parla. Ce fut un moyen de mobiliser le peuple à une époque où il n’y avait ni salle, ni journaux, ni réseaux sociaux…

Tribune juive : Et vous, ce cri ?

Marek Halter : Oui, je crie souvent… Je l’ai fait pour Ilan Halimi. À la télévision. Mais, même le cri, il faut savoir le doser. Pour faire le bien, il faut aussi une stratégie. Nous pouvons par exemple utiliser les religions pour progresser ensemble. Et pourtant, sans la réconciliation préalable, elles peuvent mener à une guerre de religion. La France en a connues. Celle, extrêmement violente entre catholiques et protestants. La nuit de la Saint-Barthélémy, ce ne sont pas des révolutionnaires que les Français ont tué, mais des gens qui voulaient la Réforme. Est-ce pour cela que l’on dit que la France n’est pas un pays réformable ? Pour contourner cette difficulté, la France a inventé la laïcité. La séparation des religions et de l’Etat. La liberté de croire ou de ne pas croire. Et surtout de respecter ceux qui ne partagent pas ma foi. Mais le monde a changé. Les frontières se sont ouvertes, la France est devenue multiple. Certains ne veulent pas l’accepter. Parler de communautés est impensable. Dire à quelqu’un tu es communautariste est un gros mot, une insulte. Or, si nous sommes égaux, comme le dit Shakespeare dans Jules César, nous ne sommes pas tous pareils. Ce qui nous lie, tous, dans notre diversité, c’est la langue et l’amour de cette culture qui fait la grandeur de la France. Je questionne souvent mes lecteurs : vous êtes-vous demandé dans quelle langue vous rêvez ? Moi je rêve en français. Les nazis avaient une technique pour détecter les Juifs, ils les faisaient compter. Les Juifs comptaient en yiddish. Au début, je comptais en polonais. Mais maintenant, je ne pourrais compter qu’en français, et c’est là où je me rends compte que je suis intégré. Pareil pour les musulmans. Qui fait rire les Français ? La plupart des comiques sont d’origine maghrébine. Et ils nous font rire en français ! En introduisant ça et là un mot arabe et en se moquant des Arabes ! Comme les Juifs qui ont inventé un humour particulier. Se caricaturer soi-même. Se moquer de soi-même est une thérapie. Au lieu que quelqu’un me dise que mon nez est long, je te le dis moi-même et d’emblée ! Du coup, celui qui s’apprêtait à se moquer de moi est désarmé et il ne lui reste plus qu’à rire avec moi.

Certains décrivent Marek Halter comme celui qui s’arrange avec la réalité. Je vous répondrai que ses livres ne sont pas des autobiographies et que si la vie de cet homme est un roman, une chose est sûre : lui, qui se définit comme un passeur, met sa notoriété au service inlassable du respect des droits de l’homme, utilise généreusement son carnet d’adresses pour promouvoir ses valeurs, et n’hésite pas à passer un coup de fil aux journalistes ou aux hommes politiques pour attirer l’attention sur ses actions. Comme Kafka, il considère que Dieu est une énorme oreille qui nous écoute et qu’en conséquence, on ne peut pas dire n’importe quoi.

[1] Fédération générale des travailleurs de la Terre d’Israël, fondé en 1920.

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18 Comments

  1. Et pourtant cet homme dit tout et n’importe quoi… Désolé mais je ne l’ai jamais trouvé intéressant, ni dans ses anecdotes ni ses livres.

  2. Marek Halter est détesté ou adoré. Sa culture immense est indéniable et on ne s’ennuie pas avec Lui, bien qu il doit un cabotin. Il est en même temps le tenant d’une utopie: Jacques, Monsieur Halter croit qu’aujourd’hui c’est “comme avant”. Sa marche, je ne La crois pas possible. Mais je trouve intéressant son Point de vue sur les religions. Le Coran, je. Lis assure qu’il l’a lu, Lui .

  3. j envis sa capacité d`esperence…moi aussi j`aimerais pouvoir y croire!!! helas je pense qu`au stade ou on en est la seule chose qui puisse nous sauver sont nos chars et nos avions…
    eventuellement le tavor, du modiin efficace, clipat barzel… une puissante hazbarah et se souvenir que des hauts murs font des bons voisins.
    aussi le celebre dicton latin “si vis pacem para bellum”…
    si tu veux la paix prepare la guerre. travailler tres dur pour se rendre invincible aussi bien sur le plan individuel
    que collectif. c`est le meilleur conseil que je puisse donner
    a un(e) jeune juif (ve) aujourd hui

  4. Merci Sarah d’avoir mené cet entretien.
    A Marek Halter je dis : chapeau l’artiste !
    A Josaphat : j’approuve votre réaction.
    A André : désolé que vous soyez insensible à l’humour percutant de Marek.
    A Chalom : cet humour et cette espérance de Marek, ajoutés à vos propos, ne peuvent que renforcer Tsahal et la société israélienne.
    Salut à vous tous.

  5. Tout à fait d’accord avec la synthèse de Shlomo, car rien ne se contredit. On peut s’imprégner de Marek Halter qui parle beaucoup du sacré et prôner l’invincibilité de l’état hébreu.
    Tout est possible dans la philosophie et le réel sans qu’ils se dénient.

  6. A Marek Halter : J’ai pris connaissance de vos propos dans l’interview de Sarah Cattan au sujet de la réconciliation de tous où, en conclusion, vous dites : «Comme Kafka, Marek Halter considère que Dieu est une énorme oreille qui nous écoute et qu’en conséquence on ne peut pas dire n’importe quoi. »

    Or, voici ce que vous avez dit au cours de l’interview : « Les trois livres sont des livres révélés. Dieu a dicté La Torah à Moïse, les Evangiles A SON FILS, et Le Coran à l’Ange Gabriel… »

    Alors, justement à propos de cet Ange Gabriel, voici ce que la Bible nous apprend : « l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée du nom de Nazareth, chez une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David ; le nom de la vierge était Marie… L’ange lui dit : Sois sans crainte, Marie ; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici : tu deviendras enceinte, tu enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé FILS DU TRES-HAUT, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. Il régnera sur la maison de Jacob éternellement et son règne n’aura pas de fin. Marie dit à l ‘ange : Comment cela se produira-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? L’ange lui répondit : Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’EST POURQUOI LE SAINT ENFANT QUI NAÎTRA DE TOI SERA APPELE FILS DE DIEU… » (Bible, section « Nouvelle Alliance » ou « Nouveau Testament », Luc chapitre 1, versets 26 à 35). C’est ce que la Bible nous enseigne à propos de la conception de Jésus.

    Marek Halter, vous avez dit que Dieu A REVELE Le Coran à l’Ange Gabriel qui l’a transmis à Mahomet. Or vous qui avez lu Le Coran, vous savez parfaitement que Le Coran déclare qu’Allah est Dieu et qu’il n’a pas de Fils, et que Mahomet est son prophète, n’est-ce pas ? Aussi, mes questions :

    – Comment l’Ange Gabriel, qui a annoncé à Marie, près de 600 ans avant Mahomet, la conception virginale DIVINE du FILS DE DIEU, le Messie Jésus, a-t-il pu dire, environ 600 ans plus tard, à Mahomet, et ce de la part de ce même DIEU, qu’Allah est Dieu et que DIEU N’A PAS DE FILS ?! Gabriel serait-il menteur ? Ou plutôt, puisque Gabriel est son messager, DIEU serait-Il MENTEUR ? Dites-moi…

    – Sur une telle base spirituelle, ou religieuse, CONTRADICTOIRE, fondamentalement OPPOSEE, quelle origine commune dans la « REVELATION » ? Dites-moi…

    – Comment une RECONCILIATION peut-elle avoir lieu entre LES DEUX ESPRITS FONDAMENTALEMENT OPPOSES qui émanent de ces « livres révélés », et donc entre les PRATIQUANTS respectifs de ces DEUX Livres  ?

    Dites-moi, s’il vous plaît, sachant que, selon vos propres termes, « Dieu est une énorme oreille qui nous écoute et qu’en conséquence on ne peut pas dire n’importe quoi. »…

    • Une petite précision : Relire ses réponses et les valider n’est pas répondre aux questions posées par une lectrice. Donc j’attends de la part de Marek Halter des réponses précises à mes questions précises.

      • Je vous ai juste précisé cela pour dire qu’il était dès lors seul habilité à vous répondre. Et que je n’ai fait que retranscrire fidèlement ses propos, Ingrid.

        • A Sarah : Ce que j’avais compris et pour quoi je vous remercie infiniment.
          Juste dommage que les lecteurs ne puissent pas aller en profondeur dans la réflexion suscitée avec les personnes interviewées à partir de ses réponses aux questions posées par les journalistes et les réactions des lecteurs. Vraiment dommage…

          • C’est vrai Ingrid. D’autant que même pour l’interviewé ça peut être passionnant.
            À ce jour pas de réponse: je reste persuadée qu’il répondra – il aime ça

  7. Un philosophe, dans ses œuvres, chronologiquement, est censé affiner sa réflection.
    Or, un philosophe reste un humain. Il mûrit, évolue et affine sa pensée. Il peut revenir sur des déclarations et rajouter une précision ou dire qu’il s’est trompé….
    Mais quand il est question de Celui qui a fait ses révélations aux hommes, il est entendu qu’Il est immuable. Aucune parole ne devrait infirmer ce qui a été dit.
    Donc je ne vois que déformation dans les interprétations, si une révélation ne vient pas préciser les précédentes. Sinon, ce serait un blasphème. Le Tout Puissant serait versatile dans Son immuabilité ?
    Attention à la réponse ! Car répondre risque de faire tomber dans le péché d’arrogance.

  8. Madame ,
    J’ai lu attentivement l’interview de mon ami Marek Halter , je pense que mon ami Marek se trempe sur plusieurs points , en tant que Franco copte d’origine égyptien qui a lu les Hadiths d’Elboukharis et Mouslem , je considère que ses Hadiths sont une catastrophe pour l’Islan et pour la paix El boukharos a écrit des Hadiths qui ne sont que incitations aux meurtres et à la Haine , cet homme qui a écrit 63000 Hadiths sois disons et que matériellement est impossible dans un lap de temps qui est sa vie .je reste à votre disposition si cela vous intéresse .
    Marek et Clara , mes amis , cherchent la paix à tous prix , même s’ils disent des bonnes choses sur les assassins de Hadith
    Amicalement

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