Gilles Uzzan psychiatre se penche sur les cas Weinstein , Rozon ,Ramadan

Isaac et Lola. Tribune Juive avait présenté le roman de Gilles Uzzan, psychiatre addictologue expert auprès de la Cour d’Amiens. Gilles Uzzan « le psychiatre »  est interviewé sur des sujets brûlants: les affaires Weinstein, Rozon, Tariq Ramadan.
Pendant ce temps, l’écrivain, auteur entre autres de Histoire du judaisme, regarde Isaac et Lola vivre leur vie: sélectionné pour le Prix Littré, “Isaac et Lola”, coup de coeur du jury,  remporte le prix Paul Fleury qui lui sera remis le 9 Décembre.
Harvey Weinstein, Gilbert Rozon, Tariq Ramadan … accusés de viol par deux femmes. Qu’est-ce qui pousse des hommes réputés et puissants à agir ainsi ? Un psychiatre addictologue donne son éclairage pour vsd.fr. Interview…

Le docteur Gilles Uzzan est psychiatre addictologue, expert près la Cour d’Amiens (Somme). Un titre qui englobe à lui seul nombre de crimes et délits, souvent des plus violents sur lesquels la justice demande au corps médical de décrypter aussi bien les motivations que la personnalité de l’accusé, parfois celles des victimes. Le Dr Uzzan l’avoue, c’est dans l’écriture qu’il a trouvé une échappatoire aux réalités parfois ultra-violentes auxquelles le confronte son métier. Il vient d’ailleurs de publier son deuxième ouvrage, Isaac et Lola, histoire d’amour impossible et leçon de tolérance (voir ci-dessous).

En exclusivité pour vsd.fr, le Dr Uzzan a accepté de donner son éclairage sur les dernières accusations d’agressions sexuelles et viols mettant en cause des personnalités d’univers très divers telles qu’Harvey Weinstein, Gilbert Rozon, et plus récemment encore le prédicateur musulman Tariq Ramadan que deux femmes accusent désormais de viol et une troisième d’agression et menaces. Comment bascule-t-on dans l’addiction et la prédation sexuelle ? Il nous répond…

VSD: La première question que l’on se pose, au vu de toutes ces affaires, c’est pourquoi ? Pourquoi ces hommes puissants, célèbres, riches, basculent-ils dans l’addiction et dans l’agression pour assouvir leurs pulsions sexuelles ?

GU: Parce qu’ils perdent, au fur et à mesure que l’addiction s’aggrave, la liberté de s’abstenir. L’addiction sexuelle fait partie des addictions comportementales. Comme toutes les addictions, elle est définie par le Craving, qui est une compulsion répétée avec perte de contrôle, malgré les conséquences négatives. Il en découle, pour le sujet, une impossibilité de résister à ses désirs sexuels, même lorsqu’il le veut et qu’il essaie. C’est ce que l’on appelle la perte de la liberté de s’abstenir.

VSD: Les addicts au sexe sont-ils tous des prédateurs sexuels ?

GU: Non, de la même manière que les violeurs ne sont pas forcément des addicts sexuels. De même il ne faut pas confondre les troubles de la préférence sexuelle, appelés paraphilies, avec l’addiction au sexe. La pédophilie, le sadomasochisme ou l’exhibitionnisme sont des troubles paraphiles. C’est différent de l’addiction sexuelle mais ce n’est pas excluant. Il y a plusieurs niveaux dans l’addiction sexuelle, comme dans n’importe quel comportement ou usage induisant une dépendance. On distingue les stades suivants : séducteur compulsif, sujet dont la sexualité est débordante, pour finir par addict sexuel. Il y a aussi d’ailleurs, plusieurs types de comportements pathologiques, qui n’impliquent d’ailleurs pas toujours des “partenaires” ou plutôt des victimes desdits comportements : cela va de la masturbation compulsive à la drague compulsive en passant par la consultation de sites internet ou autres supports (télévision, magazines, etc) de contenus à caractère pornographique. Chez ces sujets, on observe une tendance à la névrose et à la dépression. Leur addiction les rend malheureux, pour beaucoup.

VSD: On a le sentiment, dans les affaires impliquant des personnalités que cette dimension est absente, au vu des témoignages des victimes et sans préjuger de la culpabilité des personnes accusées…

GU: On a souvent affaire, dans le cas de personnalités et sans viser quelqu’un en particulier à de multiples mécanismes psychiques. L’addiction sexuelle se double dans certains cas d’une assise narcissique très installée. Et chez les célébrités ou les personnalités puissantes, les assises narcissiques sont souvent fortes. C’est, pour être plus clair, ce qui semble être à l’œuvre lorsque le sujet ne manifeste aucun remord sincère et semble croire à sa propre légende.

VSD:  Comme lorsqu’Harvey Weinstein lance, à la meute de paparrazzis qui le suivent, “je suis un mec bien, je mérite une seconde chance”, par exemple ?

GU: Par exemple. Un addict sexuel peut devenir violent, prédateur et harceler continuellement les femmes qui l’entourent. Pris dans la dépendance, il ne mesure pas les conséquences de ses actes ou choisit de les ignorer. Ce sont souvent, pour en revenir à votre première question, des gens de bon niveau social dont les failles et les actes, lorsqu’ils sont révélés, suscitent une certaine stupeur de l’opinion publique. Ce sont aussi, dans certains cas, des gens vraiment brillants.

VSD: Vous dites que ces sujets ne mesurent pas les conséquences de leurs actes. Est-ce à dire qu’ils sont irresponsables pénalement ?

GU: Non, car cette forme d’addiction n’entraîne en général pas d’abolition du discernement. Ils ne peuvent pas s’en empêcher mais ils savent, lorsque l’addiction conduit à la prédation sexuelle, à l’agression ou au viol que ce qu’ils font est puni par la loi.

VSD: Il est beaucoup question, depuis ces révélations en chaîne de la durée de prescription des crimes sexuels et de la nécessité de traduire les coupables devant la justice. La sanction du tribunal est-elle importante selon vous ?

GU: De fait, elle l’est. Tout le processus de “guérison” dépend d’un facteur : celui de l’intention, de l’envie de changement. Et donc de la prise de conscience, aussi bien de l’addiction que de ses conséquences. C’est par le biais d’entretiens qu’on emmène ces sujets vers la prise de conscience. Et que l’on peut voir se déclencher, à partir de là, l’envie de changer. Punir les agressions sexuelles et les viols, c’est dire la sanction et la sévérité de la société et de la justice à l’égard de ces comportements et de ces actes. C’est donc un pas fondamental sur le chemin de la guérison.

VSD: Vous avez publié, aux éditions Deglay, votre deuxième ouvrage. Un roman d’amour impossible entre deux jeunes gens que tout oppose. On imagine mal, au vu des histoires qui jalonnent votre rôle d’expert judiciaire, votre côté fleur bleue !

GU: Je ne suis pas qu’expert près des tribunaux ! Je consulte aussi en cabinet et en plusieurs décennies de consultations, à Paris comme en province, j’ai eu l’occasion d’entendre nombre de gens se raconter. Ces histoires, ces parcours de vie, nourrissent mon imaginaire. Isaac et Lola* conte le coup de foudre entre un jeune juif ultra-pratiquant, fils de rabbin, tenu d’assurer la survie du nom car seul garçon de sa famille et une jeune femme aux antipodes. A travers ce duo improbable, je raconte l’universalité du sentiment amoureux, mais aussi les influences et les lignes de fracture de la société française. Mes deux amoureux auraient pu tout aussi bien être musulman et athée ou issus de deux cultures et d’origines très différentes, tout simplement. Mais si cela vous interpelle de voir un psychiatre écrire une histoire d’amour, vous lirez mon prochain livre : je travaille, en ce moment sur un roman inspiré de la vie de Philippe Pinel, psychiatre auquel on doit d’avoir libéré les aliénés de l’hôpital psychiatrique !

Source vsd

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