«A Toulouse, le désarroi des juifs est très fort, peut être plus qu’ailleurs»

Le livre « Le grand désarroi – enquête sur les Juifs de France » des frères Victor et Salomon Malka brosse un tableau très noir du sentiment des Juifs français, notamment à Toulouse.

Les actes antisémites sont à la hausse et la communauté juive se sent abandonnée, expliquent les sociologues. Surtout, ils placent Toulouse – une communauté d’environ 20 000 personnes – , en tête des grandes villes françaises où ce sentiment est le plus prégnant. Explications avec Victor Malka.

Les frères Victor et Salomon Malka./Photo DR
Les frères Victor et Salomon Malka./Photo DR

Vous avez beaucoup enquêté à Toulouse, et le constat que vous faites est inquiétant…

Il nous est apparu en venant à Toulouse, en rencontrant de nombreux membres de la communauté juive, que le sentiment de désarroi y était très fort, sans doute plus fort que dans toutes les grandes villes françaises que nous avons visitées. Il y a bien sûr le «traumatisme Merah», qui reste encore très fort, et qui est sans doute la raison première des nombreux départs vers Israël, «l’alya». Nous sommes allés visiter l’école, Or Torah (qui s’appelait avant la tuerie du 19 mars 2012 Otzar Hatorah), nous y étions durant la fête juive de Shavouot (la Pentecôte juive, NDLR) habituellement gaie, mais l’on ne peut se départir de ce que les gens ont dû éprouver… Savoir que c’est là qu’une petite fille a été tirée par les cheveux puis abattue à bout portant…

Vous jugez dans votre livre que la gestion de l’affaire Merah a été pour le moins maladroite…

Il y a eu une grande émotion, c’est évident. Toute la classe politique est venue à Toulouse, le peuple a été choqué. Mais les autorités ont refusé d’entendre la communauté juive qui leur disait : «Attention, Merah n’était pas un loup solitaire, il avait un réseau, il a fait des voyages au Proche-Orient». Ce fut une grande incompréhension, un grand déni…

Quels sentiments ont les Juifs toulousains que vous avez rencontrés : sentiment d’abandon, peur, colère ?

Le désarroi. C’est-à-dire ne pas comprendre les processus qui sont en œuvre, ne pas comprendre ce qui se passe. La ville de Toulouse nous est aussi apparue comme un vivier du djihadisme…

Comment l’expliquez-vous ?

Il y avait, bien sûr, tout le réseau Merah, la sœur, le frère… Une certaine jeunesse a commencé à construire ses mythes à partir de là. De jeunes rebelles, un peu d’islamisme… et la classe politique qui n’y voyait que dalle. Certains éléments nous ont alarmés, comme la personnalité de l’imam du Mirail. Le magazine Marianne en avait fait un portrait inquiétant dans un dossier sur «les complices de l’islamisme». Il présente bien, il a lorsqu’il parle le charisme d’un Tariq Ramadan, mais lorsque certaines personnes, dont Nicole Yardeni, ancienne présidente du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives juives de France) en Midi-Pyrénées, s’est émue de son discours militant, tout à fait au diapason de ce qu’écrivait Marianne, qui l’a écoutée ? Lors de la manifestation de février 2014 contre l’homophobie et l’antisémitisme, elle s’est fait mettre à la porte de la manif par des militants d’extrême gauche aux cris de «Sioniste ! Suppôt d’Israël !»…

Vous discernez trois formes d’antisémitisme…

Oui : celui, résiduel, de l’extrême-droite. Il a toujours été là, et il a encore sans doute de beaux jours devant lui. Il y a ensuite celui de la gauche de la gauche et l’extrême-gauche, qui sous couvert d’antisioniste, dérape souvent vers l’antisémitisme. Cette idée que le terrorisme serait lié à Israël nous semble totalement fausse, car le terrorisme frappe même lorsque la situation israëlo-palestinienne est relativement calme. Et il y a enfin l’antisémitisme islamiste, qui est le plus violent car pas seulement verbal : on l’a hélas vu avec le carnage de l’Hyper Cacher.

« Le grand désarroi – enquête sur les Juifs de France » par Victor et Salomon Malka (éditions Albin Michel, 234 pages, 18 €)

http://www.ladepeche.fr/article/2016/02/09/2273458-toulouse-desarroi-juifs-est-tres-fort-peut-etre-plus-ailleurs.html

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3 Comments

  1. “la gauche de la gauche et l’extrême-gauche”…

    C’est pour dédouaner “la gauche” cette expression bizarre ? La gauche de la gauche, késako ? Si c’est le parti communiste alors pourquoi ne pas le nommer ? On sait bien qu’il a toujours été historiquement “antisioniste”…

    Chez les verts aussi il y en a beaucoup qui, sous couvert d’ “antisionisme”… et les vert c’est bien la gauche, non ?

    Il ne faut pas avoir peur de dire simplement “de la gauche et de l’extrême gauche”.

  2. Les réponses faites par les auteurs au journaliste de La Dépêche m’amènent à quelques réflexions :

    1/ ” Savoir que c’est là qu’une petite fille a été tirée par les cheveux puis abattue à bout portant…”
    Cette petite fille avait un nom, elle s’appelait Myriam Monsonego,
    2/ Elle n’a pas été assassinée à bout portant mais à bout touchant (les policiers et militaires qui nous lisent comprendront la différence) pour les autres je précise votre tête est en “bouillie”, avec une arme de calibre 11.43 (du grand banditisme),
    3/ Les autres victimes ne sont pas évoquées,
    4/ On se souvient des noms des assassins mais moins de ceux de leurs victimes.
    J’aurais aimé un commentaire en ce sens de notre rédaction en complément de cet article.
    Pascale Davidovicz

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