Bonjour Israël, il y a longtemps que je ne t’ai pas écrit, par Jean-Paul Ney

 

Bonjour Israël, ça fait longtemps que je ne t’ai pas écrit. Plus exactement, depuis 1997, quand jeune reporter, j’étais envoyé par SipaPress pour retrouver les traces d’un de tes enfants et en faire un scoop : Ehud Tenenbaum, alias Analyzer, tu sais ce hacker israélien qui avait pénétré les systèmes du Pentagone mais en refermant sagement les portes derrière lui car elles avaient été laissées grandes ouvertes… Je dirais même qu’il a fabriqué des portes car il n’y en avait pas du tout. Joli scoop.

En m’envoyant chez toi, le vieux copain GökşinSipahioğlu, le patron de Sipa, m’avait demandé quelques archives photographiques en plus : les gens de chez toi, la société civile, la diversité, l’armée, puis le conflit israélo-palestinien. Il voulait un regard neuf, celui d’un gamin de 20 ans pas pollué par les deux côtés. Il a bien fait.

Je suis aussi allé chez ta cousine à Gaza, elle était un peu fâchée, mais toujours en admiration quand tu parlais franchement avec elle, J’ai fait des allers-retours entre Tel-Aviv, Jérusalem, Gaza et Paris jusqu’à la fin de la Seconde Intifada, où vous vous êtes sérieusement foutus sur la gueule.

Chez toi, en Eretz comme tu dis, j’étais chez moi partout, je me sentais réellement humain, les sourires m’accompagnaient tout le long de ces journées ensoleillées : le souk de Jéru, ces petites échoppes avec un vieux juif dedans, sa longue barbe blanche et son regard tendre qui a envie de te dire « viens t’asseoir, j’ai une grande histoire à te raconter ». Ces commerçants arabes qui à chaque coin de rue voulaient absolument me faire manger ou boire quelque chose, ces longues discussions sur la « fransa » ou « tsarfat », j’ai même réussi à leur vendre la Catalogne, mon pays, tu imagines ?

Puis cette rue, avec ce camion, et des ouvriers qui se disputent (se parlent, c’est local, don’tworry) et l’autre type bodybuildé dans la remorque pleine de grosses pastèques qui les jette à son collègue en bas sans regarder (avec la précision d’un drone) ça fuse en arabe et en hébreu, ça rigole à pleins poumons, putain d’apartheid !

Parlons-en de ce mot : Apartheid, qu’il est laid ! Et surtout, tu peux être le pire des démons des arabes, au fond d’eux, ils savent qu’ils sont bien chez toi, que le Juif ne les déteste pas, que le Juif n’est pas éduqué dans la haine de l’arabo-musulman.

J’ai donc vécu un apartheid imaginaire et créé de toutes pièces ! Et quel apartheid ! Mon dieu que les arabes sont malheureux en Israël ! Ces ouvriers (et patrons) palestiniens sont si malheureux qu’ils n’essayent même pas d’aller travailler en Jordanie où le papa du roi avait liquidé plus de 5000 d’entre eux lors du fameux septembre noir. Ils ne vont pas non plus en Irak, personne ne les veut au Moyen-Orient, les palestiniens sont les Juifs des musulmans.

Tu sais mon frère, je ne te connaissais pas mais je t’avais toujours dans mon cœur et dans ma chair depuis ma naissance, la vie c’est quand même une grosse blague juive ! 20 ans que je viens travailler chez toi et que je vois comment des petits français éduqués dans la haine te critiquent parce que tu es JUIF. C’est tellement facile, tu es devenu leur bouc-émissaire. Et comme tu n’es pas méchant, tu les laisses dire et faire. Jusqu’à ce qu’un petit français nommé Merah liquide tes enfants et ses propres frères, jusqu’à ce qu’un autre les tue alors qu’ils faisaient les courses de Shabbat. Cette ignoble fin de semaine où vous buvez du sang des petits nenfants arabes et mangez leur cerveau en milkshake. Faut pas déconner…

 

Tu le sais, je ne suis pas un militant aveugle, xénophobe ou je ne sais quoi d’autre. Parfois on se fâche, parce que soit tu sur-réagis, soit tu veux plaire à tout le monde, mais arrête frérot de vouloir plaire à tout le monde, sérieusement, akhy, on s’en fout.

Tout le monde sait que tu es une société dynamique et moderne, une vraie démocratie, n’en déplaise aux ânes de Beur FM que j’ai réprimandés en plein débat jadis, cinq gros gaillards et pas un seul qui a moufté : tu vois je ne te défends pas, je rétablis la vérité, toi Israël tu ne pends pas haut et court les pédés, ni les putes d’ailleurs, oui je suis un peu franc, tu sais je suis catalan… Je l’ai expliqué, dit et redit, à la télévision, en débat, à la radio, dans la presse : L’apartheid n’existe pas, Israël repousse par tous les moyens humains possibles des gens formés à la haine et à la destruction. J’ai écrit les moyens HUMAINS. Je t’explique :

Tu sais qu’on te compare à un nazi ? Akhy, c’est bien triste, mais comment dit-on « foutaises » en allemand ?

Alors un jour, en plein reportage, un de tes généraux que je mettais à rude épreuve (pas pour le plaisir mais pour faire mon travail le plus honnêtement possible) me dit : « avant de bombarder un immeuble bourré de civils mais où des terroristes se planquent, on envoie une charge vide sur le toit, c’est un avertissement, et si ça ne suffit pas on envoie des SMS ».

Serais-tu devenu un nazi au rabais ? C’est quoi ce bordel mon frère ? Depuis quand des nazis avertissent leurs ennemis qu’ils vont les frapper ? Tu crois que les franquistes et leurs potes nazi ont procédé ainsi à Guernica ? Tu crois qu’ils ont envoyé des pigeons ou des messages radio avant de pulvériser Londres ? Peut-être que Assad ou les Russes font ça aussi, et que ces triples buses au sol ne leur ont pas donné leur numéro sur Whatsapp ? Des ânes je te dis…

Quel nazi de pacotille tu fais, haver.

Enfin, et tes « camps de concentration à ciel ouvert » à Gaza ! Quel scandale mon frère ! Quelle horreur ! Comment tu peux laisser des types s’éclater au surf à Gaza, comment tu peux laisser ces supermarchés que j’ai vus de mes propres yeux, avec moult promotions dignes d’un Auchan ?

C’est quoi ces SS au rabais ?

Israël, mon frère, tu es un très mauvais nazi, je te le dis, et je le pense bien fort. Ce n’est pas comme ça qu’on « extermine » un peuple. Tu t’y prends très mal, ta méthode laisse à désirer.J’ai aussi vu cet apartheid dans tes startups, horribles ces bureaux où Juifs et Arabes travaillent ensemble ! Il y a aussi cette chaîne de télévision i24 où Juifs et Arabes bossent main dans la main… Y a du laisser-aller à tous les étages akhy, ça va pas du tout.

Quand tu penses que l’islam en Israël c’est 1,4 millions de musulmans, 6 branches de l’islam, qu’il y a 300 imams et muezzins payés par le gouvernement sioniste, que 26.000 étudiants arabo-musulmans bénéficient des infrastructures académiques modernes, que 1700 musulmans servent ton armée, et que depuis1988, plus de 400 mosquées ont été réparées, modernisées avec une croissance de 500% : même chez toi,akhy, tu ne sais pas appliquer l’apartheid, c’est dire…

Ne parlons pas de ces patrons arabes, de ces politiciens ou ces hauts-fonctionnaires de la vie publique qui ne sont pas Juifs, honte à toi Israël, mon frère.

Enfin, on va pas tourner autour du pot, frangin, tu sais que je suis revenu pour le tournage de mon documentaire « La Fabrique de la Haine » il y a quelques mois, ça faisait huit ans que je n’étais pas venu, j’ai passé quelques coups de fils et vous avez tous rappliqué, on a mangé, on a rigolé, on a pleuré aussi, de bonheur, je te rassure. C’est comme ça que je t’aime Israël.

Je suis parti à pieds me perdre dans Jaffa la magnifique. J’ai retrouvé des amis de 20 ans, barbus comme moi, toujours aussi vivants, toujours aussi chaleureux, j’ai rebaragouiné mon arabe et mon hébreu au point d’en rêver à nouveau, c’est typique quand on parle trois langues maternelles comme moi, on dit que le cerveau refait des connexions perdues, et quelles connexions !

J’ai retrouvé les kebabs de HajKahil, la chakchouka de doctorchakchouka, j’ai revu l’un des fistons de Aboulafia, le super boulanger du coin, je suis retourné à la mosquée, j’ai parlé aux commerçants, j’ai acheté des lunettes de soleil hors de prix, et je me suis perdu volontairement sur le port, un groupe de méchants arabes islamisés m’a invité à fumer le narguilé dans l’herbe, on a parlé des heures, de Toi, de la situation en France, des attentats, des petits cons en France qui parlent au nom des arabes du Moyen-Orient ou des palestiniens, ils m’ont dit de leur expliquer qu’ils devaient venir voir par eux-mêmes ce terrifiant apartheid. Puis la nuit est tombée, on s’est embrassés, il était temps de partir… C’est comme ça que je t’aime Israël, mon frère.

Le temps d’un saut à Jérusalem, j’ai retrouvé Yigal Palmor et Bassem Eid, deux figures importantes qu’il faut écouter. J’y suis allé en bus, dans tes bus, tu sais ces bus exceptionnellement galactiques avec les meilleurs chauffeurs du système solaire (non je plaisante !), il y a quelque chose de particulier dans tes bus à Jérusalem, un peu de Star Wars, cette diversité, ces visages, ces enfants qui pleurent, ces vieux qui rigolent, ces jeunes qui se draguent, ces religieux qui pestent, ce type qui te parle alors qu’il ne te connaît pas, ces conversations qui n’existent plus en France. Ce côté arabo-juif du « je t’embrouille » pour converser, c’est vivant, c’est bon, c’est humain et ça fait du bien.

Je suis revenu ruiné, hors-budget, mais c’était bien, mon frère, juste baisse tes prix s’il te plait, un chouïa, todaraba.

Tu vois, akhy, pour tous ces instants, pour cette vie, pour ces moments de bonheur et de vérité, pour tout ça je t’aime Israël, mon frère.

Sois assuré de toute ma volonté pour te défendre mais aussi pour te critiquer quand tu déconnes sec. Israël, ani Ohev otkha, אני אוהב אותך !

A bientôt, leitraot, להתראות !

Jean-Paul Ney

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