Tout ce qui avait des jambes a accouru aux Champs-Élysées, de Salomon Malka

Le 26 août 1944. C’est la Libération. De Gaulle défile dans Paris. La foule est joyeuse. Les gens s’embrassent, se lancent des fleurs.paris liberee

Comment ont réagi les juifs ? Sont-ils descendus dans les rues comme tout le monde ? Se sont-ils sentis libérés, comme tous les Parisiens ? Ou ont-ils continué à porter leur étoile sur le revers de leur veste comme s’il fallait attendre, pour être sûrs que tout allait bien ?

Cette question suggérée par notre ami Emmanuel Halperin (qui signe par ailleurs dans ce hors-série un témoignage sur une Bar-Mitsva sous la IVe République), on doit bien avouer n’y avoir jamais pensé. Et pourtant, c’est vrai que la question tombe sous le sens. Il y a bien eu, en 1946, le salut aux déportés qui a fait beaucoup de bien sous la forme des Réflexions sur la question juive de Jean-Paul Sartre. Mais sur le moment, ce jour-là, quel fut le sentiment général ? 30 000 juifs, selon les historiens, vivent alors à Paris. Certes, beaucoup de ceux qui sont restés dans la capitale, sont pauvres, dépendant des secours d’organisations sociales, ayant vu leurs ressources confisquées, n’ayant pas les moyens de vivre cachés, ou n’ayant pas la force pour les plus âgés de quitter leur domicile. Inconscients pour certains du danger. Ou pour d’autres, épargnés par la rafle du Vel d’Hiv, vivant dans la peur. Ceux-là sont-ils descendus sur les Champs-Élysées ?

On a posé la question à Georges Loinger, auquel nous rendons visite de temps à autre à son domicile des bords de la Seine. Une rencontre avec cette grande figure de la résistance juive, président de l’ARJ, est toujours revigorante. Il nous reçoit dans son appartement, et on le retrouve tel qu’en lui-même. Droit, vif, svelte, attentif à tout, curieux de tout ce qui se passe. À bientôt 106 ans, il a bon pied, bon œil, et promène un regard attendri sur tous ses livres qui l’entourent et qu’il tient toujours à portée de main. Le livre collectif sur l’Organisation juive de combat. Un album chez Albin-Michel préfacé par son très proche ami qu’il tient en très haute estime et dont il trace un portrait plein d’affection et d’admiration, Crémieux-Brilhac, ainsi que par Simone Veil et Serge Klarsfeld. Livre sur L’Odyssée d’un Résistant, avec le concours de Katy Hazan.

Il raconte une fois encore sa guerre, récit dont on ne se lasse pas (il a une telle faconde !). Comment, prisonnier dans un stalag non loin de Munich, il s’échappera en 1940. Comment il sauva plus de 300 juifs envoyés en Suisse. Comment il prit part plus tard à l’opération Exodus, sur la demande de David Ben-Gourion et grâce à l’aide du Maire de Sète. Et comment, au lendemain de la guerre, il lança la compagnie Zim, avenue de l’Opéra à Paris.

Sur les murs, des gouaches de son cousin Marcel Marceau, et une toile de Mané Katz – on y voit un jeune juif orthodoxe en papillotes – échangée naguère contre un billet de bateau pour Haïfa.

Le 26 août 1944 ? Il n’était pas à Paris. Il se trouvait à Annemasse, mais ses camarades de résistance, sachant qu’il était parisien, ont mis à son service une voiture Hotchkiss – véhicule de luxe de l’époque – qui avait été prise à un collabo. « Ils ont obtenu l’autorisation de la résistance et j’ai pu rentrer à Paris avec ma femme, au volant de cette voiture, dès le lendemain. »

Son souvenir du Paris de ces jours de liesse ? « Mais tout ce qui avait des jambes a accouru aux Champs-Élysées ! De Gaulle n’était pas un rêve. Il était bien là sur la grande avenue de la capitale, et c’était la fin de la guerre. De Gaulle, c’était la résistance. Il a toujours été proche des juifs, entouré de juifs, et pas seulement Crémieux-Brilhac. Pour moi, dans mon camp de prisonniers en Allemagne, De Gaulle c’était l’espoir. Nous étions très gaullistes, et moi j’étais très gaulliste. »

Ce 26 août 1944, tout d’un coup l’espoir renaissait. « J’étais un des fondateurs de l’école Maïmonide, avec Marcus Cohn, avant la guerre. En 1936, j’étais à la fois le directeur technique de l’école et le professeur de gymnastique. Ma femme était économe et mon fils Daniel – dit Georges Loinger en se tournant vers son fils, présent lors de notre entretien – est né là-bas. On a fermé l’école la veille de la mobilisation. On savait que les choses allaient tourner mal. Quand je suis rentré à Paris, on m’a proposé de retourner à l’école, mais je ne me sentais plus la force de m’occuper d’enfants. D’autres l’ont fait à ma place. »

L’école Maïmonide a rouvert ses portes dès le lendemain de la libération de Paris. L’ordre de réquisition de l’établissement a été levé. Marcus Cohn, secondé par Théo Dreyfus, a récupéré les locaux, et la vie est revenue, 11 rue des Abondances à Boulogne.

Salomon Malka 

Source l’Arche Magazine

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