Naufrage en Mer Noire : David Stoliar, 72 ans de vie gagnés

Le 1er mai dernier est mort à Bend, dans l’Oregon, à l’âge de 91 ans, un homme qui a eu une chance inouïe, un homme qui aurait du mourir 72 ans plus tôt. Il s’appelait David Stoliar.
Ces 72 ans de vie supplémentaires font comme un écho aux 72 jours que David Stoliar a passé sur un bateau en fuite entre le 12 décembre 1941 et le 24 février 1942. Comme si chacune de ces journées d’angoisse, de peur, de froid et de faim, chaque lever de soleil sur la Mer Noire, chaque jour passé à espérer dans le port d’Istanbul, lui avait octroyé le droit de vivre une année de plus.
Lorsque le Struma, un vieux navire construit à Newcastle en 1867, prend la mer dans le port de Constanza en Roumanie, près de 800 juifs et une dizaine d’hommes d’équipage roumains et bulgares s’entassent dans les cabines vétustes et sur les ponts. Ils attendent ce voyage de la dernière chance depuis des mois, un voyage qui doit les conduire en Palestine britannique, en Terre promise. David voyage avec sa fiancée et les parents de celle-ci. Le père de David est resté à Bucarest, il a utilisé une bonne partie de ses économies pour payer le billet de son fils. La mère de David habite Paris depuis leur divorce. Elle sera arrêtée un an plus tard par la police française et mourra à Auschwitz.
Les moteurs du Struma sont dans un piètre état. Dès le début de la traversée de la mer Noire, ils donnent des signes de faiblesse, tombent plusieurs fois en panne. Le Struma arrive néanmoins à Istanbul quatre jours après son départ, le 16 décembre 1941. Commencent alors deux mois de honte, de lâcheté, d’abandon, deux mois pendant lesquels les diplomaties turques et britanniques vont se renvoyer la responsabilité de ces quelques centaines de juifs fuyant le nazisme. Les britanniques, avec à leur tête Harold MacMichael, l’intransigeant Haut-Commissaire en Palestine, refusent d’accueillir les fuyards, citoyens roumains, donc d’un pays en guerre avec la Grande-Bretagne, craignant que des espions nazis s’y dissimulent ! Les Turcs envoient des techniciens pour réparer les moteurs, mais veulent surtout se débarrasser au plus vite de ce problème flottant.
stoliar

UNE TORPILLE : 768 MORTS

Les passagers appellent à l’aide, déploient de grandes banderoles sur le pont du navire, espérant attirer la compassion des nations. Vainement. Le 23 février 1942, le Struma est expulsé du port d’Istanbul vers la Mer Noire par la police turque, ses moteurs ne fonctionnent toujours pas correctement. Le bateau n’a pas de destination possible. Le lendemain matin, une torpille tirée par un sous-marin russe détruit le navire, peut-être confondu avec un transport de troupe allemand. Dans le brouillard du petit matin, à quelques encablures des côtes turques, 768 hommes, femmes et enfants meurent sur le coup ou se noient dans les eaux froides.Un seul homme va survivre à ce naufrage. David Stoliar s’accroche à quelques morceaux de bois qui flottent encore. Quelques heures plus tard, des pêcheurs turcs l’aperçoivent et lui sauvent la vie.

 COMMENCE ALORS SA SECONDE VIE

Commence alors sa seconde vie. Une existence qu’il refusera de vivre comme le messager d’une catastrophe. Aidé par la communauté juive d’Istanbul, il traverse la frontière turco-libanaise et gagne finalement la Palestine mandataire, s’engage dans l’armée britannique pour la fin de la guerre, se marié au Caire en 1945, puis il participe à la guerre d’indépendance d’Israël. Dans les années 70, après la mort de sa femme, il se remarie à une américaine et part vivre aux Etats-Unis. Il y demeurera jusqu’à sa mort.
Si les yeux bleus de Paul Newman ont immortalisé l’histoire de l’Exodus, le naufrage du Struma est beaucoup moins connu. Il symbolise pourtant l’inhumanité de la raison d’Etat et des diplomaties de guerre, même celles des démocraties. Le 12 mai dernier, quelques jours après la mort du seul survivant du Struma, une embarcation de clandestins a coulé entre la Libye et l’île de Lampedusa, faisant au moins quatorze morts. Deux cents immigrants ont été sauvés et recueillis. L’humanité a tout juste fait quelques progrès.

Pour en savoir plus sur le Struma :
D.Frantz, C.Collins, Death on the Black Sea: The Untold Story of the Struma, 2003
P. Zaouati, Naufrages, roman, Editions des Rosiers, 2014
 
Philippe Zaouati
CEO, Mirova

 
 

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