La désobéissance civile dans la France occupée, par Limore Yagil

L’historienne Limore Yagil publie un nouvel éclairage sur la collaboration de la France occupée et la déportation des Juifs.

L’historienne Limore Yagil, professeure habilitée à diriger des recherches et chercheuse à l’université Paris IV-Sorbonne, publie Désobéir. Des policiers et des gendarmes ( Nouveau Monde, en librairie le 13 septembre 2018), qui éclaire d’un jour nouveau la collaboration de la France occupée à la déportation des Juifs. Elle est également l’auteure du seul ouvrage concernant le sauvetage des artistes juifs en France : Au nom de l’art 1933-1945 : exils, solidarités et engagements, Fayard, 2015, et de plusieurs ouvrages portant sur les modalités du sauvetage des juifs en France et la désobéissance civile ( Cerf 2005, Cerf 2010-2011 ; Geste 2014).

Tribune Juive : Pourquoi écrire ce livre aujourd’hui vous semblait –il indispensable ?

 Limore Yagil : Nous vivons dans une période de confusion. Les témoins sont de plus en plus rares. La nouvelle génération des historiens se lance plus facilement dans des conclusions hâtives, cherchant les coupables avant tout, cherchant à identifier les collaborateurs, ceux qui ont dénoncé, ceux qui étaient antisémites et donc coupables de vouloir se débarrasser des juifs en France. Ces jeunes historiens, ne cherchent pas à comprendre le contexte historique, à lire de nombreux documents issus de différentes sources d’archives : Police, Intérieur, Education, Armistice, procès de Haute-Cour…. Ils cherchent à publier rapidement, à faire des films documentaires, à parler dans les différents médias, à devenir un historien « médiatique ». Pour cela il leur faut effacer certaines vérités historiques, proposer au public une vision simpliste et assez manichéenne, dénudée de toute variations ou complexité. Il est plus simple d’accuser un Alibert, un Bousquet, un Pétain ou un Laval, que d’analyser l’évolution des positions et des attitudes de l’ensemble des ministres et secrétaires d’Etat de Vichy en matière de la politique antisémite et xénophobe.

Je ne suis pas inquiète des écrits d’Eric Zemmour, qui est un journaliste et un écrivain mais n’est pas un historien qui étudie les archives.

Ce sont plutôt les historiens, disciples de Robert Paxton, présents dans les médias et la presse, dans les éditions et les revues scientifiques, qui depuis des années empêchent tout débat en France, contrôlent l’information, allant jusqu’à censurer toute publication qui va à l’encontre du « main stream » ambiant, qui osent mettre en doute les conclusions de la « Bible Paxtonienne ».

Vichy, la collaboration et la Shoah continuent de hanter notre mémoire nationale, principalement parce que dans un pays, où l’on a sauvé plus de 220 000 Juifs, ( soit plus de 75% des Juifs) on ne cherche pas à comprendre qui a sauvé les Juifs ? Il faut savoir que SUR CHAQUE JUIF QUI A SURVÉCU IL Y A EU AU MOINS 7 A 10 PERSONNES QUI SE SONT CHARGÉES DE LE PROTÉGER . CELA FAIT PLUS DE DEUX MILLIONS DE PERSONNES vivant en France, qui ont contribué au sauvetage des Juifs.

A ce jour, Yad Vashem a reconnu seulement environ 3000 personnes comme Justes parmi les nations en France. Il est vrai que toute personne qui aide un Juif n’est pas immédiatement reconnue comme Juste. Ce qui nous explique que rares sont les artistes qui ont reçu la médaille des Justes ( 5 environ) ; rares sont les préfets ( 2 au total). Pour les policiers et les gendarmes, seulement 69 ont été reconnus par Yad Vashem, alors qu’ils sont plus nombreux à aider les Juifs et autres personnes, à avoir risqué leur vie en désobéissant aux ordres et aux instructions.

J’ai commencé mes recherches en 1986. Les archives des la Seconde Guerre mondiale, y compris les procès de Haute-Cour des ministres et secrétaires d’Etat de Vichy, les dossiers personnels des préfets, des policiers, des artistes, des universitaires etc, sont soumis à dérogation. J’ai obtenu toutes les dérogations demandées, plus de 3000 dossiers individuels et autres, dépouillés aux Archives nationales, Archives de la police, archives militaires, archives diocésaines, archives départementales, archives des Justes à Yad Vashem, etc.

A défaut de refuser de proposer une image manichéenne de la société française sous l’Occupation ou du gouvernement de Vichy et de ces agissements, mes nombreuses lectures et recherches m’ont permis de prendre en compte qu’il faut savoir  accorder plus d’attention aux contextes changeants de l’occupation, suite aux changements de gouvernements ou d’institutions, prêter plus de réflexion aux enjeux de la géographie spécifique de l’occupation, aux particularités géographiques, et surtout savoir analyser les cas de non application des lois, les cas de désobéissance civile, les cas où l’on accorde des dérogations à des Juifs, et même ceux qui permettent d’intégrer certains juifs en 1942 dans l’administration. Car il ne faut pas oublier les inflexions très fines auxquelles l’historien doit être sensible pendant ces quatre années, les virements, et les changements.

Derrière l’Etat de Vichy, il faut prendre en compte les agissements des fonctionnaires, et des autres citoyens qui à leur niveau décident d’agir face à la législation antisémite de Vichy et face à la politique de collaboration. L’antisémitisme n’est jamais devenue une norme pour l’ensemble des administrations françaises – centrales- comme locales- qui participent toutes à des degrés divers à sa mise en œuvre. Il faut savoir distinguer entre les agents professionnels de l’antisémitisme, tels que le furent les agents du commissariat général aux Questions juives, et ceux de la Police aux Questions Juives, et plus tardivement les agents de la Milice Française, et les agents des préfectures, policiers, gendarmes ou encore employés municipaux.

Notre ouvrage concernant les policiers et les gendarmes, propose au lecteur de changer de perspective. Au lieu de se concentrer sur la phase « négative » de cette période, de chercher les coupables, il s’agit de démontrer pour la première fois, les nombreux policiers et gendarmes, qui ne sont pas entré en Résistance, mais ont désobéi pour sauver des vies humaines, des Juifs, des aviateurs alliés, des résistants, des réfractaires aux STO etc. IL NE S’AGIT PAS D’EXONERER VICHY MAIS D’INTRODUIRE PLUS DE NUANCE, DE VARIÉTÉ, DE COMPLEXITÉ DANS L’ANALYSE D’UN PASSÉ TRAGIQUE.


Wikipédia

Contrairement à mes précédents ouvrages portant sur les modalités du sauvetage des Juifs en France, mon dernier livre ne se limite pas à la question des Juifs. Il propose d’analyser la complexité des attitudes rencontrées chez les policiers et les gendarmes pendant les années noires. En 1940-1941, rares sont les gendarmes et les policiers qui entrent en Résistance. D’abord parce que la résistance commence juste à s’organiser en France ; ensuite par ce qu’ils ont fait le serment de fidélité au maréchal Pétain en 1941. Mais on relève une attitude de désobéissance civile chez certains. Cela veut dire quoi ?

Dans la France occupée et meurtrie des « années noires », des hommes et des femmes ont pris conscience dès 1940 qu’ils devaient obéir à leur conscience et agir, allant jusqu’à transgresser les lois et les ordres souvent ressentis comme inacceptables. En transgressant volontairement la loi, on assume le risque de la sanction, et souvent on met en danger ses proches. Cette désobéissance civile prend plusieurs facettes. L’acte de désobéissance civile n’est pas synonyme de Résistance. C’est d’abord un acte individuel, indépendant d’un réseau ou d’un mouvement clandestin. Cela permet de constater, que la politique antisémite de Vichy et celle des autorités allemandes, n’ a pas transformé des policiers et des gendarmes en tueurs en séries, en un groupe d’ « hommes ordinaires », comme se fut le cas en Allemagne ou dans les pays occupés à l’Est. Cette désobéissance civile prend plusieurs facettes.

Les moments du choix de la désobéissance civile sont par nature, multiples et complexes. Il y a en premier lieu une désobéissance « périphérique ». Sans appartenir à un réseau, à un mouvement ou à des unités militarisées de la Résistance, des policiers et des gendarmes, officiers ou fonctionnaires rattachés aux forces de l’ordre, au cours de l’exercice de leur activité professionnelle, par une démarche individuelle, ont fait preuve de bienveillance envers les personnes traquées par le régime. Leur action se déroule généralement dans l’ombre et le secret des consciences. Les uns se contentent de « traîner du pied », en observant une neutralité qui favorisait l’entreprise de la Résistance. Se laisser désarmer, fermer les yeux sur une évasion, faire prévenir les réprouvés : juifs, communistes, étrangers, renseigner les résistants, ignorer les parachutages, héberger des persécutés, ne pas faire usage des armes, sont autant d’initiatives à porter à leur crédit. La résistance active les conduit à fournir des renseignements, organiser des filières d’évasion, protéger les parachutages, camoufler des armes, bref à aider les réseaux de résistants, voire à s’y engager ou à en créer.

Pour les uns, cela signifie aussi venir en aide aux personnes en détresse, en leur proposant du travail, un logement, en leur procurant de faux papiers, en les prévenant avec leur arrestation, en falsifiant leur présence dans les registre des Juifs recensés à la préfecture, en échouant dans les démarches de les arrêter, en les aidant à passer la frontière ou la ligne de démarcation.

Il faut reconnaître, que la désobéissance civile était le moyen le plus efficace pour éviter d’exécuter des ordres incompatibles avec le devoir patriotique ou sa conscience. Aussi, on ne doit pas perdre de vue que la culture d’obéissance, ancrée dans les mentalités depuis des siècles, a freiné l’entrée en résistance de certains. Plus que la peur de représailles ou de perdre son emploi, c’est cette culture qui constituait l’essence même de la police et qui peut expliquer que des policiers ont pourchassé des gens, qui selon leurs critères, étaient parfois assimilés à des criminels de droit commun ou à des « terroristes ». La discipline et l’obéissance étaient les qualités essentielles qu’on avait cherché à développer chez eux. Or, désobéir aux ordres relève de l’intime, cela implique de se mettre en marge de la société, d’avoir une vie parallèle, de trembler au moindre bruit anormal. Combien parmi ces fonctionnaires « obéissants » étaient capables d’agir à l’encontre des instructions reçues, de risquer leur vie pour des inconnus ?

Les gendarmes, comme une très large majorité de la population française, peuvent à la fois suivre le maréchal Pétain et éprouver de sérieux doutes à propos sur patriotisme du régime de Vichy, né de la défaite et de l’Occupation. Au fil des mois, des facteurs circonstanciels, comme les persécutions raciales, l’instauration du STO, le succès décisifs des Alliés, vont susciter de nouveaux ralliements. En réalité, il existe une large palette d’attitudes qu’il reste à découvrir. Combien ont œuvré dans l’ombre pour porter sous l’uniforme les valeurs d’humanité ? CES SAUVEURS SONT SOUVENT RESTÉS ANONYMES . C’est avant tout un devoir de mémoire que de leur rendre hommage.

Ce qui est important à notre sens, c’est de reconnaître le fait que le même gendarme ou policier qui pouvait arrêter des juifs un jour, pouvait très bien en prévenir d’autres le lendemain, celui qui se taisait un jour pouvait une autre fois fournir des papiers, et celui qui obéissait aux ordres de ses supérieurs un jour pouvait prendre tous les risques à un autre moment pour aider des proscrits. Et tous ces gestes, les bons et les moins bons, les courageux et les veules, les lumineux et les lâches furent ceux de la gendarmerie et de la police. Analyser les comportements des gendarmes et des policiers, et en particulier leurs actes de désobéissance civile, implique nécessairement que l’on commence par évoquer le cadre d’action et les missions dont ils étaient en charge. Le degré de compromission, outre des cas extrêmes de collaborateurs avérés, reste difficile à appréhender de manière globale. SI L’HISTORIEN ROBERT PAXTON pose comme norme que ceux qui « ne font pas d’opposition active » à un pouvoir sont, de facto, des partisans de ce pouvoir, NOTRE LIVRE DÉMONTRE AU CONTRAIRE que certains pouvaient s’élever contre l’apathie générale et agir pour sauver des vies humaines, en particulier des Juifs.

Enfin rappelons, ce que certains historiens oublient trop souvent en voulant accuser Vichy de la déportation des Juifs : dès 1940 les Allemands avaient pour objectif de déporter tous les juifs de France, et rien ne pouvaient les arrêter. Avec ou sans le concours de la gendarmerie et de la police française, les différentes forces de la police allemande en France agissaient avec fermeté et zèle selon un programme bien déterminé, celui de la « solution finale de la question juive ». En refusant d’exécuter aveuglément les ordres du gouvernement et de leur hiérarchie, des gendarmes et des policiers ont apporté une contribution indéniable à la cause de la Résistance, et à la survie de nombreux juifs en France. N’oublions pas que « seulement » 50% des juifs prévus, sont réellement arrêtés pendant la rafle du Vel d’Hiv, et que les résultats des rafles dans le sud de la France : à Marseille, à Toulouse, en Lozère, en Ardèche, en Haute-Loire, dans l’Hérault, dans la Creuse, en Haute-Vienne, dans l’Aveyron, le Lot-et-Garonne, etc, sont faibles, et déçoivent considérablement les autorités allemandes. Autrement dit, on ne peut pas ignorer l’attitude courageuse de nombreux gendarmes et policiers, qui ont empêché de différentes façons l’arrestation des juifs. Ce que je montre dans mon livre, au plus près des situations concrètes, c’est qu’il y avait toujours des marges de manœuvre, des possibilités de contourner, d’atténuer, de résister.

Face à un discours traditionnel qui met en avant l’activité des policiers et des gendarmes ayant appliqué avec zèle les lois et les ordonnances en vigueur pendant l’Occupation, notre ouvrage propose une fresque sans concession ni faux-semblant, basée sur de nombreux documents d’archives étudiés depuis une dizaine d’années, et qui mettra à mal nombre d’idées reçues, et montre que MÊME AU CŒUR DU SYSTÈME VICHYSSOIS IL ÉTAIT POSSIBLE DE CONTREVENIR AUX ORDRES.

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4 Comments

  1. Effectivement ce n’est pas tant Pétain, et en cela Zemmour à tort, que les français du simple individu à ceux agissant au sein d’institutions et d’administrations qui ont sauvé les juifs.
    Pétain, loin de les protéger, les a rendu vulnérables en leur retirant leurs emplois, et donc leurs moyens de subsistance, et en les exposant à la merci de tous dans un moment critique. Bien sûr Pétain n’était pas un nazi exterminateur, mais leur sort ne l’empêchait pas de dormir.

    • Zemmour n’a jamais écrit que c’est grâce à Pétain que les 3/4 des juifs de France n’ont pas été envoyés vers les camps de la mort. Mais l’armistice a permis la création d’une zone libre et policiers, gendarmes, élus municipaux, professeurs, instituteurs ont conservé le pouvoir d’avertir, d’aider , de protéger …Quand Zemmour affirme que beaucoup de juifs ont eu la vie sauve , ce n’est pas grâce à Pétain mais c’est sous Pétain que cela était possible. Limore Yagil a démontré cela mais personne n’avait eu le courage de remettre en question les approximations de Robert Paxton et de ceux qui se sont baptisés historiens sans avoir fait de recherches ou de recoupements.

  2. Bon, c’est pas compliqué.
    Entre la pleine collaboration et la résistance active il existe une infinitude de situations intermédiaires et les mêmes personnes pouvaient se trouver, à divers moments de l’occupation, à diverses positions du curseur.

    Toutes les tentatives de formuler des règles générales sont donc vaines ; il y a autant de situations que des personnes multipliées par les jours (voire les heures…) de l’occupation.

    Que les historiens découpeurs de cheveux en quatre se reposent donc. Aucune généralisation n’est possible.

    Un autre aspect de cette période m’intrigue perso : la confortable affirmation, devenue banale, « nous étions résistants ».

    Alors qu’il est évident que les forces alliées, lors des débarquements, notamment en Normandie, se débrouillaient quasiment sans AUCUNE aide de la population française soi-disant « résistante ».
    Pareil pendant leur progression sur le sol français vers Berlin.

    En Normandie particulièrement parmi le demi-million des soldats ayant débarqué il n’y avait qu’une centaine de Français…

    Et si De Gaullle a pu parader à Paris fin août 1944 c’est porté sur des baionettes américaines avec les divisions de Patton et Bradley derrière.

    La « résistance » parisienne n’a montré le bout de son nez qu’une fois les Allemands, en déroute devant Eisenhower, enfuis…

    Le reste c’est du cinéma.

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