44 enfants et leurs 7 éducateurs… Nathalie Bianco.

Ils sont marrants ces gamins non? Les photos d’enfants, c’est toujours plein de charme, quelle que soit l’époque. Celle-ci date de 1944.

Bien sur on remarque tout de suite le grand, celui qui est debout à gauche. Le clown de la bande. On l’imagine rigolard et bravache, on se dit qu’il n’a pas dû pouvoir s’empêcher de faire le con durant la photo, que quelques instants sérieux et tranquilles, c’était déjà trop pour lui.

J’aime bien le petit teigneux boudeur accroupi juste à côté. Lui j’ai l’impression de le connaitre. C’est exactement mon fils, quelques décennies plus tôt. Il a dû souffler, ronchonner, il ne voulait pas être sur la photo, il devait trouver tout ça stupide. On l’a surement prié, supplié ou menacé pour qu’il consente à prendre place dans le groupe mais même installé, il a gardé son air buté et goguenard, il reste en appui sur ses mains, prêt à s’enfuir. Mon fils, vous-dis-je. Qu’est ce qu’il devait être chiant!

Les 7 jeunes adultes du fonds, ceux qui sont étroitement collés les uns aux autres, ce sont les “éducateurs”. Ils sont sérieux, protecteurs. Celui de droite, avec sa coupe courte, je pense que les enfants devaient lui avoir trouvé un surnom, et je paierais cher pour savoir lequel. Il devait être le casse-pieds, le rabat-joie, celui qui rappelle les règles, celui qui fronce les sourcils et dont on se moque, sitôt qu’il a tourné les talons. La jeune femme en blanc, au milieu, celle qui a l’air douce et gentille, j’imagine que c’est vers elle que les gamins se tournaient quand quelque chose n’allait pas. Elle a dû en essuyer, des joues mouillées, des nez morveux. Elle a dû en consoler, des petits blessés aux genoux écorchés, des premiers émois amoureux déçus, des désespérés de ne pas voir leur parents, des nostalgiques de la maison…

Le petit brun à grosse frange au 2ème rang et dont on ne voit que les yeux ne s’est pas mis là par hasard: il se cache, il n’a pas envie qu’on le remarque. C’est un gamin timide et anxieux. Il n’aime pas ce camp, il est mal à l’aise avec les autres enfants, sa mère lui manque. Il a toujours été de nature inquiète mais depuis qu’il est là, c’est pire. Il pisse au lit. Ni les moqueries ni les menaces n’y font rien. Tous les matins il se réveille dans sa désolante flaque. Alors, de toutes ses forces, le soir il lutte pour ne pas s’endormir. Il reste le plus longtemps possible les yeux ouverts. Il pense à sa mère, à l’école, à son chien, à quand il rentrera… c’est pour ça qu’il a les yeux cernés, à force de livrer chaque nuit ce combat inégal face au sommeil.

J’adore le gamin du milieu, le maigrichon qui est torse nu et dont on ne voit pas le visage. Il n’a pas pris la peine de mettre une chemise, lui son truc c’est la baignade, les plongeons, la natation; il apprend le crawl, il fait des progrès, il se dit qu’à la fin de l’été il battra tout le monde à la course. Il faut juste qu’il arrive à souffler par la bouche sans avaler de l’eau. Alors, il est resté en slip de bain et il a hâte de retourner dans l’eau. Impatient, dissipé, il n’a pas pu tenir en place pendant la séance et la photo l’a immortalisé ainsi, le visage tourné. On ne saura jamais s’il riait, s’il se faisait engueuler ou s’il tirait la langue aux éducateurs.

J’aime bien aussi la petite tout à droite. Elle a mis sa jolie robe à carreaux, elle a lissé ses cheveux, elle regarde sagement l’objectif. C’est surement une bonne élève. Je l’imagine concentrée, appliquée tirant un peu la langue quand elle écrit son prénom sur son cahier à carreaux. Son sourire est timide, son regard est grave. J’aimerai savoir à quoi elle pense. Peut-être entrevoit-elle en une fraction de seconde la collision entre le présent, léger et joyeux de l’enfance (après tout, c’est un camp de vacances) et le futur qui arrive, terrible et épouvantable (après tout, ces gamins sont juifs)

Les 44 enfants et les 7 éducateurs seront envoyés à la prison de Montluc de Lyon, et ensuite à Drancy et à Auschwitz, où ils seront, pour la plupart gazés, certains serviront de cobayes à des expériences médicales. Le plus jeune, avait 4 ans.

( À l’occasion de Yom HaShoa je re-publie ce texte écrit en 2017 )

Nathalie Bianco

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