Patrick Drahi, Prix Scopus 2015, de l'ombre à la lumière

“Il n’aime pas donner des interviews, il n’aime pas prononcer de discours et il n’aime pas les dîners mondains”, s’amuse un proche de Patrick Drahi à la sortie de la maison de la Mutualité, à Paris, mercredi dernier. Il est presque minuit et la soirée de gala, dont le nouveau tycoon des télécoms et des médias fut le héros, vient de s’achever. Patrick Drahi s’est résolu à violenter sa nature réservée et discrète. Il faut dire que l’occasion était un peu spéciale : il a reçu le très prestigieux prix Scopus 2015 délivré par l’université hébraïque de Jérusalem, qui récompense une personnalité engagée dans des actions éducatives, culturelles et sociales pour la promotion du progrès et du savoir.

Patrick Drahi a reçu le très prestigieux prix Scopus 2015. © Le Point
Patrick Drahi a reçu le très prestigieux prix Scopus 2015. © Le Point

Il est sponsor de l’université depuis plusieurs années, ayant notamment permis le développement du laboratoire de recherche sur le cerveau du génial professeur Idan Segev. Il a également créé la fondation Lina et Patrick Drahi, qui est engagée en faveur de projets de recherches et de Moocs au sein de prestigieuses universités et grandes écoles en France, en Europe et en Israël. La liste des récipiendaires de ce prix Scopus a de quoi donner le tournis : Simone Veil, Maurice Lévy, Steven Spielberg, Milton Friedman, Elie Wiesel, Bill Clinton, Bernard-Henri Lévy, Beate et Serge Klarsfeld et de nombreux autres illustres personnages.
soirée drahi
Pour assister à “sa” soirée, présentée par Colombe Shneck, agrémentée d’un dîner gastronomique casher de Yannick Alleno et arrosée d’un vin argentin (Flechas de los Andes), Patrick Drahi était venu en famille. Ses quatre enfants (deux fils et deux filles) étaient présents, ainsi que, bien sûr, sa femme Lina. Il avait également convié sa “bande”, l’équipe de direction de son groupe de télécoms Altice (Numéricable, SFR, Portugal Télécom, etc.) et ses anciens copains de promo à l’X comme Jacques Veyrat, fondateur du groupe Impala ou Michel Combes, le PDG d’Alcatel. Ses proches ont pris place au milieu d’un parterre d’invités prestigieux (il y avait environ 500 personnes) : Yossi Gal l’ambassadeur d’Israël en France, Alain Finkelkraut, Bernard Henri-Lévy, Claude Chirac, Robert Namias, Lily Safra (veuve d’Edmond Safra), Maurice Lévy, Laurent Dassault et Martine Dassault, qui est la présidente des Amis français de l’université hébraïque de Jérusalem, et on en oublie.
Lors de cette occasion particulière, Patrick Drahi, l’homme qui est brutalement passé de l’ombre à la lumière à l’occasion du rachat de SFR l’an dernier (ainsi que du rachat de Libération et du groupe L’Express-L’Expansion plus récemment), a bien été obligé de se livrer un peu. Revue de détail de ce que l’on a appris sur le très discret Patrick Drahi. Verbatim.

Ses origines et son éducation

 

“En 1978, nous avons été dans les derniers à fuir le Maroc. Quand nous sommes arrivés en France, à Montpellier, les trois premières années, je n’étais pas heureux. On arrive du Maroc, c’est l’adolescence, les copines, tout change. Après, cela allait mieux. En classe préparatoire, c’était beaucoup plus sympathique.”

“Je suis fils de prof de maths. Il y avait même sept professeurs de maths de la génération de mes parents dans la famille. Mon grand-père paternel était agriculteur en Algérie, il est allé à Paris où il est devenu cordonnier. Forcément, il n’y avait pas d’agriculteur à Paris… Mon grand-père maternel a fui la Pologne, il est venu en France et s’est engagé dans la Légion.”

Les mathématiques

“J’ai toujours été le premier de la classe. Mes parents étaient profs de maths pour des élèves dont l’âge variait entre 12 et 16 ans. Mais dès mes 11 ans, je corrigeais les copies des élèves de mes parents… Je notais en rouge : il faut améliorer ceci ou cela ou, quand c’était trop faible, il faut travailler plus. Mais j’essayais toujours de rester positif…”

“Les mathématiques, c’est un outil pour comprendre le monde. C’est un outil qui est beau, qui a été façonné par l’homme, par l’esprit humain, et qui est le même pour tout le monde. On fait des maths en anglais, en français, en arabe, en hébreu. Les formules sont les mêmes. On utilise tous les chiffres arabes. Et il faut que cela tombe juste à la fin. Tout le monde doit se mettre d’accord.

Ses débuts professionnels

drahi
 
“J’ai signé un contrat avec le groupe Philips de trois ans. J’ai commencé en septembre 1988 et j’ai appris beaucoup de choses. Mais au bout d’un an et demi, je n’en pouvais plus. J’ai démissionné le jour où nous sommes rentrés de notre voyage de noces. Je suis parti le matin à 8 heures pour travailler et je suis revenu à la maison à 11 heures. Et Lina me demande : mais qu’est-ce que tu fais là ? Je lui ai répondu : je pars. Elle m’a dit : mais comment on va faire ? J’ai dit : on va se débrouiller. Elle était étudiante avec une spécialité en pédiatrie. Elle faisait des stages, elle était payée une misère, elle travaillait de 7 heures du matin à 11 heures du soir. Donc je me suis dit, il faut que je fasse du business tout seul. Je suis parti aux États-Unis, au bout de trois mois, je gagnais plus que ce que je gagnais chez Philips.”
“J’ai commencé dans le câble en 1993. La première ville qui m’a fait confiance, c’est Châteaurenard, un petit village des Bouches-du-Rhône, grâce à l’adjoint au maire qui était médecin. Cela s’est très bien passé. En fait, les élus de province sont des gens simples, avec les pieds sur terre. Après Châteaurenard, j’ai convaincu Cavaillon, Carpentras, Salon-de-Provence. Il y avait une grosse population arabophone. J’ai mis les chaînes de télévision en français sur mon offre de câble et je voulais mettre aussi les chaînes en arabe, mais on n’avait pas le droit. Je l’ai fait quand même, mais sans le mettre sur la brochure. Mais le bouche-à-oreille a fonctionné à merveille… Je ne suis pas passé en force, je suis passé en souplesse (rires).”
“Cela n’a pas été facile, il y a eu des coups de bluff incroyables. Quand j’arrive à Marne-la-Vallée pour faire du câble, on me dit : il vous faut 100 millions de francs. Je dis : pas de problème, je les ai. Alors que je n’avais pas le premier centime du premier franc…

Être patron

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“À chaque collaborateur, je dis : mon rêve, c’est que tu deviennes riche. Évidemment, si tu deviens riche, moi je deviens un tout petit peu plus riche (rires).”

“Quand les collaborateurs viennent me voir, ce n’est pas pour me remercier, me dire que tout va bien. Ils viennent me voir quand il y a un problème. Moi, je suis le monsieur qui règle les problèmes. Je dois donner une solution. Mais moi, quand j’ai un problème, je n’ai personne à qui demander comment faire. Bref, on est seul dans la décision, on est seul face au risque, mais ce n’est pas grave. Je crois en ma bonne étoile et il vaut mieux prendre cinquante décisions dans la journée que de convoquer cinquante réunions pour décider quoi faire. Si sur cinquante décisions, il y en a quarante de bonnes, ça va. Le lendemain, les dix mauvaises, je peux les changer.”

Valeurs

“Ce goût du travail, de la recherche de la perfection qui n’est jamais atteinte, cette envie de faire mieux et plus, dans la joie du moment et le bonheur de la vie, je la tiens de mon éducation.”

“J’écoute tout le monde, les religieux, les non religieux, car chacun est convaincu de détenir la vérité. Mais je suis convaincu de ne détenir rien du tout. De ne faire que passer. L’humanité, c’est Babel, et c’est comme cela qu’on progresse. Si on est tous identiques, on ne progresse pas. Je ne suis satisfait ni par ce que j’ai ni par ce que je suis. Il faut progresser en permanence.”
“Quand je suis rentré en France, j’ai découvert que quand on réussissait, ce n’était pas la peine de se vanter. Si vous réussissez, les gens sont jaloux. Et si vous ne réussissez pas, les gens vous descendent encore plus.”
“Être héritier d’une culture, c’est bien plus important que d’hériter de cash.”

Israël

“En 2008-2009, c’était la crise, et je voulais investir aux États-Unis. C’était le bon moment pour investir. Je vais à New York. Mais je me dis, c’est trop grand pour moi. Et on m’appelle pour me dire qu’il y a un truc à faire en Israël. J’arrive, et je vais à la tour Millenium à Tel-Aviv, et puis je vois des tours partout. Ça ressemble à New York. Et je descends dans la rue et c’est le bazar. C’est le souk, cela me rappelle Casablanca. Bref, je me retrouve dans un mélange de New York et de Casa. Je suis comme à la maison.”

L’université et les Moocs

“Ils vont être en français, en anglais, en arabe pour commencer. Quel meilleur moyen de s’ouvrir à l’autre ? Nous allons former des centaines de milliers – voire, je l’espère, des millions – d’étudiants qui pourront dire j’ai mon Master d’ingénieur télécom et/ou d’optogénéticien de l’Université hébraïque de Jérusalem jumelée avec l’École polytechnique de Paris en coopération avec l’EPFL de Lausanne et le centre de recherche Champalimaud à Lisbonne. Ce projet va réunir l’origine de la civilisation [Jérusalem], le pays des droits de l’homme [la France], la capitale de l’olympisme et de la pacificité [Lausanne] et l’embarcadère vers le Nouveau Monde, Lisbonne.”

“Je voulais être professeur. Alors, quelque part, j’ai tout raté, je suis devenu businessman.”
“L’Université hébraïque de Jérusalem est la première d’Israël, construite par les juifs de la diaspora, comme Albert Einstein. Me sentir associé modestement à ce projet-là est un énorme honneur. Cette université est un miracle sur la terre des miracles.”

La recherche sur le cerveau

“C’est venu à moi par hasard. J’étais à Genève et je rencontre Idan Segev. Je me dis : mais il ressemble à Einstein. Il commence à me parler de son projet, c’est génial. En plus, le cerveau me fait penser à une carte du réseau mondial Internet. C’est logique finalement, car on l’a créé à notre image. Chacun d’entre nous possède 100 milliards de neurones, c’est-à-dire 100 gigas neurones et qui échangent 10 puissance 4 interactions. C’est frappant, le nombre de neurones utilisés par un homme est environ égal au nombre d’ordinateurs dans le monde, les interactions dans notre cerveau entre nos neurones sont aussi rapides et nombreuses que les échanges dans le monde. Tout ceci est perturbant, même pour un ingénieur télécom…”

Références

“Il y a plus de 3 000 ans, le sage Hillel nous laissait ces quelques mots issus des Maximes de nos Pères, texte fondateur de la littérature juive, les Pirke Avot, que je garde superstitieusement sur ma table de chevet. Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Si je ne suis que pour moi, qui suis-je ? Et si pas maintenant, alors quand ?”

“Je conclurais comme j’ai commencé en citant Albert Einstein et sa plus belle équation de la relativité : Soit A un succès dans la vie, alors A = x + y + z, avec x = travailler, y = s’amuser, z = se taire.”
http://www.lepoint.fr/economie/la-folle-soiree-de-patrick-drahi-21-03-2015-1914680_28.php#xtor=EPR-6-[Newsletter-Matinale]-20150327-[articles-preferes-abonnes]

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1 Comment

  1. M. DRAHI EST A LA FOIS UN HOMME D’AFFFAIRES TALENTUEUX MAIS AUSSI UN GRAND PHILOSOPHE ET D’UNE SAGESSE EXTREME.
    LA REUSSITE NE L’A NULLEMENT RENDU PRETENTIEUX.
    IL AURAIT FAIT UN TRES BON RABIN

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