Les Juifs de France, ne vous en déplaise.

Ces dernières semaines, la presse a martelé: “Juifs de France. Ont-ils raison d’avoir peur?” Ils sont inquiets pour leur sécurité et sous tension, rappelait-on ici ou là, dans les commentaires. Mais “l’antisémitisme est réel, on le ressent partout”, voilà en substance ce qu’ont répondu les personnes qui ont été interviewées. Elles ont dit espérer que l’Etat prenne la mesure de la situation et les protège (alors que Matignon et l’Elysée en passant par la Place Beauvau n’ont pas ménagé leurs efforts et ont dénoncé systématiquement l’antisémitisme).caricature antisémite

C’est ainsi que dans les médias, les personnes interviewées ont raconté que même leurs familles en Israël et ailleurs s’inquiètent pour elles quand elles voient les images des manifestations à la télévision. Et les uns et les autres ont énuméré les problèmes qui créent un malaise: “on n’ose plus mettre de signes distinctifs d’aucune sorte”, “je ne dis plus que je suis juive”, “j’ai peur pour mes enfants”, “je cache que je suis allé en Israël en vacances”, etc. Certes, les historiens, sociologues et autres spécialistes interviewés ont replacé à juste titre les choses dans leur contexte.
Ils ont expliqué que la France n’est pas un pays antisémite, que cet antisémitisme-là, celui des années 2000, n’a rien à voir avec celui de l’avant-guerre. Que le phénomène s’est déplacé vers un antisémitisme de “banlieue” pour l’essentiel, qui concerne une minorité, centrée sur la diabolisation d’Israël et l’amalgame qui va de pair entre “Juifs” et “Israéliens”, “sionistes” et “racistes”, voire “nazis”. Ajoutons que les nouvelles passions antijuives se nourrissent également des stéréotypes négatifs hérités du vieil antisémitisme populaire à l’européenne, où le ressentiment trouve ses principaux stimulants: “Les Juifs ont le pouvoir”, “ils dirigent les médias”, “ils sont partout”, “ils ont toutes les places”, “ils ont tout, nous n’avons rien”, toutes ces horreurs et les fantasmes misérables entendues ici ou là et ressassées (hélas) depuis des siècles, comme l’explique si bien dans La Judéophobie des modernes (Paris, Odile Jacob, 2008), le philosophe Pierre-André Taguieff.

Les dernières violences

Il est vrai que ces récents reportages et papiers sur l’inquiétude des Juifs de France ont été réalisés dans un contexte particulier. Prenons quelques Exemples:

  • Dans la nuit du vendredi 11 au samedi 12 juillet 2014, un cocktail Molotov a été lancé contre la synagogue d’Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis.
  • Le lendemain, dans le 11e arrondissement de Paris, rue de la Roquette, une centaine de jeunes, portant pour beaucoup les couleurs du Hamas ou le drapeau palestinien, ont tenté d’attaquer la synagogue qui se trouve dans cette rue, mais ont été repoussés par les CRS présents sur place
  • Le samedi 19 juillet 2014 s’est tenue à Paris la manifestation “en soutien au peuple palestinien”, bravant l’interdiction préfectorale. Elle avait pourtant débuté dans le calme, mais elle a dégénéré en scènes d’émeutes. Plus d’une quarantaine de personnes ont été interpellées, 17 policiers et gendarmes ont été blessés. Les boulevards autour de Barbès étaient recouverts de bris de glace, entre abribus et cabines téléphoniques détruites, et deux camionnettes étaient calcinées au milieu de la chaussée, ainsi que des poubelles. La chaussée était également jonchée de plaques de bitumes arrachées.

Ce que Bruno Le Maire, député UMP de l’Eure, a résumé en une phrase: “Quand une manifestation dégénère en menaces et en actes antisémites, la barbarie gagne la France” (Le Figaro, lundi 4 août 2014).
Cependant, ne nous leurrons pas. Les violences ne sont pas nouvelles. A chaque fois que le Moyen-Orient s’embrase, on croit revivre dans les grandes capitales européennes le même scénario. Depuis 2000, des centaines d’agressions ont secoué la communauté juive, ponctuellement, régulièrement, durablement, faisant des lieux de culte et d’écoles, des fidèles, de certains responsables ou membres de la communauté juive autant de cibles terriblement vulnérables, tout au long de ces quatorze dernières années.

La communauté juive écoute-t-elle sa peur?

Cependant, on entend ici ou là que « si la communauté juive écoute sa peur, elle ne fera que de mauvais choix » (Christophe Barbier, « Les nouveaux Baal-Zebub », L’Express, 6 août 2014). C’est une remarque que l’on peut entendre mais qui nécessite une réponse.
Avant de répondre donc, rappelons que l’attachement des Juifs de France à la République est presque aussi vieux que la République elle-même, qui a émancipé les Juifs en 1791. C’est ainsi que les Juifs de France ont de la France une idée noble, haute et généreuse. La France, ils l’aiment tant qu’elle imprègne leur vie, elle est l’aimée et bénie dans leur prière, dans toutes les Synagogues de France et de Navarre.
Et l’émotion nous étreint lorsque nous pensons à ce que les Juifs de France ont donné à ce pays : des artistes, des scientifiques de renommée internationale, des intellectuels de premier plan, de valeureux soldats et des travailleurs inlassables. Nous rappelons ici que les Juifs de France dans leur grande majorité portent l’étendard des valeurs républicaines, haut au cœur, d’une France dont l’identité est plurielle, d’une France qui doit être et rester accueillante et fraternelle. C’est ainsi que, comme la plupart de nos compatriotes, les Juifs de France sont fermement attachés aux valeurs de liberté (la liberté consistant à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui) ; de fraternité (car chaque citoyen doit respecter les droits des autres) ; d’égalité (car la loi doit être la même pour tous, sans distinction de naissance ou de condition).
Rappelons également que les Juifs qui choisissent de quitter la France, peuvent le faire pour des raisons multiples: professionnelles ou familiales, à l’instar de nos compatriotes qui trouvent du travail à Londres ou à Montréal, à défaut d’en trouver (hélas) à Paris, Toulouse ou Lyon. D’autres, il est vrai, font leur alya (immigration en Israël), par foi, crainte ou espoir. Ce sera pour eux, peut-être une nouvelle vie, mais ce sera sûrement et pour la plupart quelque part un déchirement car France est leur pays.
Mais, s’ils partent par crainte, c’est qu’au moins depuis le meurtre d’Ilan Halimi ou les assassinats barbares qui ont été perpétrés par Mohamed Merah, ils ne se sentent plus en sécurité et qu’en quatorze années -ou près de 8000 actes antisémites ont été perpétrées en France- nous ne voyons pas le bout du bout de cette fâcheuse situation. Mais, au fond, que fait-on pour les retenir (de partir?) Que fait-on pour les rassurer? Que fait-on pour panser les plaies? Que fait-on pour qu’ils se sentent mieux? Plus généralement, que fait en France pour que TOUS les gens se sentent bien?
A cet élément objectif, ajoutons celui-ci: les Juifs de France s’interrogent: quelle est donc en France cette furie anti-israélienne qui anime certains militants extrémistes de la cause pro-palestinienne? Quelle est donc cette passion folle, cette rage destructrice et quelquefois quasi-religieuse qui anime tous ces gens? A croire que l’apocalypse viendra, à croire que le ciel se déchainera, à croire que le monde tremblera et ne survivra pas… tant qu’Israël continuera d’exister. Cette haine viscérale d’Israël créée un malaise. Les Juifs de France ne comprennent pas plus que l’on “criminalise” et juge ou jauge si facilement et avec mépris de l’amitié qu’ils portent pour Israël. Au fond, pour être un “bon” Juif, il faudrait à en croire certains raser les murs, cacher que l’on aime son peuple, ou se livrer à cette orgie militante qui “nazifie” constamment Israël.
J’aime particulièrement cette citation du moraliste belge d’expression française Bernard Willems-Diriken, dit Romain Guilleaumes “Sème l’amour pour récolter la vie”. Si nous ne manquons plus ni à l’avenir, ni au présent, alors oui, des Juifs de France continueront de partir. Réel ou fantasmé, ils chercheront une sensation de liberté, sans mettre une casquette sur leur tête pour cacher leur kipa de peur de se faire agresser.
“Sème l’amour pour récolter la vie!”

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