Crise ou fin de régime ? Par Philippe Meyer

Pour la première fois dans la 5ème république, les grands partis de gouvernement traditionnels pourraient être absents du second tour de l’élection présidentielle. Il ne s’agit pas ici de le condamner ou de s’en réjouir, mais d’analyser une situation inédite à tous les égards.
constitution
Notre régime politique, né en 1958, dure depuis près de soixante ans. Il est l’un des plus longs et les plus paisibles que nous ayons connus depuis la révolution française. La première république avait duré douze ans, de 1792 à 1804. S’en est suivi une phase de tentatives éphémères et instables de changements de régimes. La seconde république, née en 1848 était morte au bout de quatre ans seulement. La troisième, de 1870 à 1940, a certes duré mais s’est achevée dans le sang et dans la honte. La quatrième, née aux lendemains de la guerre en 1946 s’est effondrée douze ans plus tard seulement.

Notre régime actuel a duré dans la stabilité, mais semble désormais usé, ou pour le moins remis en cause.

Face à un monde qui a tant changé ces dernières années, face aux effets de la globalisation et des progrès technologiques inouïs, face à une crise économique qui s’installe, face aux menaces mondiales de toutes sortes – sécuritaires, démographiques ou financières – face aux nombreuses alternances politiques qui n’ont pas convaincu depuis trente-cinq ans, une volonté de changement en profondeur monte en puissance. Changement d’hommes et de femmes, de génération, de discours, de méthode.

Cette volonté de « renverser la table », d’une façon ou d’une autre, née d’une société fracturée et d’un modèle politique et social à bout de souffle, se  répand dans l’inconscient collectif de notre société comme une traînée de poudre. Elle explique la folle campagne électorale que l’on vit aujourd’hui. Les repères changent. Les barrières tombent. Tout va très vite. Le monde nous observe, mais une telle évolution est visible partout depuis quelques mois. Aux Etats-Unis, en Europe ou ailleurs, les partis traditionnels et ce qu’ils représentent sont contestés, voir rejetés, et avec eux leurs dirigeants et leurs idées. Et ce supposé réveil des peuples constaté ici ou là, avec toutes les conséquences qui en découlent, ne se focalise pas simplement sur la recherche d’hommes neufs, mais sur la volonté de tester un système nouveau. Il n’en faut alors pas beaucoup plus pour que ne tentent de s’engouffrer dans la brèche des aventuriers, des apprentis sorciers, des démagogues, ou finalement des extrémistes.

Nous n’en sommes pas encore là en France, mais de seulement envisager que de tels scénarios vus ou approchés ailleurs pourraient un jour ou l’autre se concrétiser est déjà inédit en soi, et non sans risques pour notre avenir. On sait ce qui est rejeté ; on ignore encore, ou on craint, ce qui pourrait le remplacer. La véritable question sur le « plan B » est de savoir quel autre choix pourrait succéder à ce régime politique qui, malgré tout, a permis depuis des décennies notre développement dans la paix et la stabilité. La réalité est qu’à ce jour, il n’y en a certainement pas de crédible et de solide.

Le changer ouvrirait la porte à une aventure au mieux incertaine, au pire dangereuse. Le modifier apparaît comme le seul moyen de continuer à bénéficier de ses atouts indéniables, tout en en dissipant les faiblesses et en en soignant l’usure.

Les défenseurs de notre modèle de société, de sa cohésion, de ses valeurs, menacées par cette vague de fond insaisissable et imprévisible, ont aujourd’hui la lourde responsabilité de proposer rapidement les remèdes pour le sauvegarder et le pérenniser . Avant qu’il ne soit trop tard. Et le temps presse.

Alors certes, dans un contexte aussi mouvant, l’opinion publique se montre instable, rendant les sondages si impuissants à la mesurer, et le scénario d’un tel grand bouleversement ne sera peut-être pas pour tout de suite. Mais si ce n’est pas pour cette fois, combien de temps encore cette vague pourrait-elle être contenue ?

Crise ou fin de régime ? C’est tout le débat et tout l’enjeu de cette élection qui approche, et de ses lendemains. Quel que soit le résultat, rien ne s’arrêtera le 7 mai prochain.

Philippe Meyer
Vice-Président du B’nai B’rith France

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2 Comments

  1. Article très intéressant, pertinent et apaisé qui facilite la réflexion.

    Aux causes générales du rejet des partis traditionnels il faut ajouter des causes nationales qui sont dans une certaine mesure le défaut de la qualité de nos institutions : grande stabilité qui n’a pas toujours permis en temps utile un renouvellement satisfaisant de la classe politique, immobilisme de la société française où les réformes se font plus souvent dans l’affrontement que dans la sérénité, et plus récemment des réformes constitutionnelles qui ont changé le caractère de la 5ième République : le quinquennat notamment, dont l’un des buts avoués était de faire coincider la législature avec le mandat présidentiel alors qu’il existe déjà le droit de dissolution et la pratique du référendum.

    Aujourd’hui le changement rapide des mentalités, l’évolution tout aussi rapide de la sociologie, la montée de l’individualisme, l’arrivée aux affaires de générations moins expérimentées et qui n’ont pas le recul nécessaire pour tirer les leçons d’une histoire qu’au demeurant on ne leur enseigne plus, ou si mal, l’accélération du temps (internet, moyens de communication), les multiples démissions (parentales, religieuses), les changements politiques, l’impatience des jeunes générations, l’exigence d’exemplarité, même relayée par des médias qui en France sont souvent loin d’être exemplaires (nous sommes à la 45e place mondiale pour la liberté de la presse), tout cela fait que nos institutions ne sont plus ressenties comme adaptées à la société.

    Mais alors qu’aux Etats-Unis la même Constitution (périodiquement amendée, heureusement !) dure depuis plus de 200 ans, en France nous avons déjà usé 4 républiques et bien amoché la cinquième.

    Alors oui, le risque d’aventure existe et quel que soit le résultat du 7 mai (ou du 23 avril) le (la) nouvel(le) élu(e)devra gérer cette situation.

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