XXème anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda

Une exposition du Mémorial de la Shoah

du 11 avril au 5 octobre 2014

 « Ils sont venus le prendre un matin. Nous étions à la maison. Ils ont criés, bousculés ma mère. Mon père est sorti et ils l’ont emmené. Il a fait trois mois de prison pendant lesquels il a subi plusieurs fois des mauvais traitements. Puis ils l’ont relâché. Mais ils sont revenus plus tard pour nous tuer tous. Ils nous ont aligné au sol. Ils ne frappaient qu’à la tête. Mais avant de nous tuer tous, ils ont tué mon père sous nos yeux, en prenant leur temps. Il n’a fait aucun bruit. Il était comme un arbre ». Vingt ans après les faits, Anne-Marie qui s’en est miraculeusement sortie en s’enfouissant sous les cadavres sanguinolents des siens, se souvient avec une effroyable précision de chaque parole, de chaque geste, du visage de chacun de ces bourreaux, de ces instants lourds, qui précèdent un drame que l’on sent arriver sans pouvoir l’arrêter. Elle ne regarde pas la caméra qui enregistre son témoignage pour le vidéogramme. Elle regarde ailleurs, fixement, se dérouler une nouvelle fois le film de sa vie brisée.

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autel d’une église,
lieu de massacre devenu Mémorial de Nyamata

Elle se souvient aussi d’un de ses professeurs, un Hutu, venu lui demander un an plus tôt « qui elle était » : « je ne comprenais pas ce qu’il me disait. Je ne voyais aucune différence entre les enfants rwandais. J’ai demandé à mon père. Il m’a dit de répondre que nous étions Tutsi. C’est à cette époque qu’a commencé la différenciation dans les classes. Les enfants Tutsi étaient traités de « petits cafards ».
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dessin d’enfant

« Je me souviens de papa. Je me souviens de maman. Je me souviens de ma petite sœur. Je me souviens de mes frères »… Kéouka, je me souviens, commence toutes ses phrases. Pendant de longues minutes, elle égrène, un à un, le nom de tous ses disparus, tantes, oncles, cousins, voisins…  Seule survivante de toute sa famille, elle avait 25 ans quand le Rwanda a sombré dans ce qui restera le dernier génocide de l’Histoire du XXème siècle : près d’un million de morts entre le 7 avril et la mi-juillet 1994, sur une population totale de 7 millions. En moins de trois mois, les ¾ de la population Tutsi sont méthodiquement éliminés par leurs voisins Hutu avec qui ils vivaient jusque là en bonne entente. Hommes, femmes, enfants, tous sont massacrés sans distinction à la machette, à la serpette ou avec de fins bâtons de bergers, autant d’outils agricoles d’un quotidien bien anodin, à la portée de tous, qui se révèlent être des armes redoutables. Ils sont tués en public, massivement, dans les églises, les écoles, jusque dans les hôpitaux par leurs voisins d’hier, chrétiens comme eux, assistés de l’armée nationale d’un Etat devenu criminel.
Mur des victimes, Mémorial de Gisozi ou CNI
Mur des victimes, Mémorial de Gisozi ou CNI

A l’heure du numérique, on ne voit bizarrement que peu d’images de cette barbarie circuler sur internet. Les premières datent de juillet 1994. Pourtant, dès le printemps, alors que le génocide est en cours, la communauté internationale ne manque ni d’informations ni d’instruments militaires et juridiques mis en place après 1945 pour prévenir l’éventuelle répétition d’une logique d’extermination. Les troupes des Nations Unies ont remplacé en octobre 1993 les troupes françaises venues au secours du régime Habyarimana trois ans plus tôt. Dix de ces Casques bleus seront eux-mêmes assassinés par des militaires rwandais Hutu aux premiers jours des carnages en voulant protéger la Premier Ministre, Agathe Uwilingiyimana, anciennement Ministre de l’Éducation nationale, Hutu elle aussi mais qui s’était toujours opposée au système des quotas ethniques dans l’enseignement et qui entendait bien se mettre en travers de ce génocide programmé. Le 7 avril 1994, elle figure parmi les premières victimes de la purge politique menée par les extrémistes Hutu au pouvoir. Dès lors, rien ne saura plus les arrêter.
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A l’occasion des 20 ans du génocide des Tutsi du Rwanda, le Mémorial de la Shoah de Paris organise une commémoration importante dans ce lieu lui-même tellement signifiant. Avec une exposition très documentée d’abord, qui retrace une à une et très clairement, les étapes de cette incompréhensible logique meurtrière, mais aussi le contexte du génocide pour précisément comprendre l’événement, comment et pourquoi il a été rendu possible ; troisième partie, le temps du témoignage et de la justice, un moment essentiel pour les survivants, pour que la mémoire demeure, se transmette et ne se perde jamais.
Depuis 1995, le 7 avril marque au Rwanda une semaine de deuil national durant laquelle sont organisées de nombreuses cérémonies locales et officielles. Pour l’association des survivants Ibuka (« Souviens-toi »), le temps commémoratif s’étend sur les trois mois qu’ont duré les massacres. Depuis une dizaine d’années, un phénomène massif de crises traumatiques a fait son apparition à chaque nouvelle commémoration durant lesquelles les victimes rappellent par leurs hurlements et syncopes la douloureuse présence du temps du génocide qui, pour elles, n’a pas pris fin.
Outre l’exposition que l’on peut voir jusqu’au 5 octobre, un cycle de projections suivra bientôt, du 18 mai au 5 juin, de nombreux colloques, des témoignages, pour les victimes et, surtout, pour les survivants, dans une volonté de transmission bien au-delà du Rwanda.
Nous vous invitons donc vivement à consulter le site du Mémorial de la Shoah où le programme de toutes les manifestations à venir est détaillé.
Brigitte Thévenot
Illustrations Mémorial de la Shoah de Paris

Mémorial de la Shoah
17, rue Geoffroy l’Asnier 75004 Paris
Tél. : 01 42 77 44 72
www.memorialdelashoah.org (rubrique Programme des activités) et aussi www.memorialdelashoah.org/rwanda , le mini-site internet de l’exposition qui sera accessible sous peu.

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