Exposition : les petits papiers griffonnés, de Georges Horan-Koiransky

Interné au camp de Drancy pendant la Seconde Guerre mondiale, cet artiste amateur, disparu en 1986, a laissé un témoignage graphique rare, exposé jusqu’au 15 avril au Mémorial de la Shoah de Drancy.

«Je suis intoxiqué de Drancy, saturé. Toutes ces images – j’en ai fait des centaines, peut-être un millier – me sont familières, elles sont impressionnées dans ma pensée. Je dors encore sous leur maléfique influence », écrit Georges Horan-Koiransky dans son journal intime (1).

C’est pour se libérer de ces visions morbides que ce rescapé reprendra, l’un après l’autre, les croquis au crayon réalisés pendant ses huit mois d’internement. Les achever, les faire publier lui permettrait peut-être, enfin, de tourner la page.

Dessinateur industriel et directeur d’un cabinet de courtage en assurances, Georges Koiransky (Horan est un faux nom, pris pendant la guerre) a été arrêté en juillet 1942, sur dénonciation de ses voisins. De père orthodoxe et de mère juive, ce Russe naturalisé en 1925 s’est toujours tenu à l’écart de la religion et ne se considère pas comme juif. Ses deux sœurs n’ont-elles pas obtenu un certificat de « non-appartenance à la race juive » ?

Une « documentation vengeresse »

À Drancy, il partage la même paillasse crasseuse, grouillante de vermine, que ses compagnons d’infortune mais, marié à une « Aryenne », il échappe à la déportation vers l’Est, le temps que les autorités statuent sur son sort. Son épouse Hélène, qui se démène pour réunir les documents nécessaires à sa libération, parvient à lui fournir clandestinement papiers et crayons.

Pour tuer le temps, Georges, qui est passé par les Beaux-Arts, se met à croquer la vie du camp, en douce, car cette occupation, tout comme lire ou jouer aux cartes, est interdite.

Peu à peu, il obtient la complicité d’autres prisonniers, qui forment un « rideau humain » pour le masquer lorsqu’il dessine. Avec René Blum, le frère de Léon, qui devient son ami, il entreprend de constituer une « documentation vengeresse » pour rendre visible « la sombre horreur de Drancy ».

Violence des fouilles, promiscuité de la douche, intérieur suffocant des chambrées, « obscures même en plein jour », détresse des orphelins la nuit à l’infirmerie… rien n’échappe à l’œil affûté de Georges Koiransky, qui consigne parfois de fugaces répits : ici, une lecture faite aux petits, là une fillette cueillant des fleurs sur le chemin de ronde… « Le gendarme n’a pas tiré », précise-t-il dans la légende.

Ses croquis, retravaillés après sa libération et publiés en 1947 à compte d’auteur, dans l’indifférence générale, constituent aujourd’hui un témoignage visuel quasi unique sur le quotidien du camp (2).

D’un trait sûr, il crayonne également les « gratte-ciel » d’Eugène Beaudouin et Marcel Lods qui jouxtent le camp, prouesse architecturale qui le fascine. Si les tours ont aujourd’hui disparu, la cité de la Muette, ce bâtiment en U qui vit passer près de 80 % des juifs déportés, est toujours debout, transformée en HLM. Chaque rénovation met au jour des carreaux de plâtre portant des inscriptions laissées par les internés. De fragiles traces de leur passage, visibles dans l’exposition permanente du Mémorial de la Shoah.

Cécile Jaurès

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1 Comment

  1. N’oublions pas les camps français si souvent méconnus !

    Plasticienne engagée, j’ai réalisé une série de dessins intitulée « Enfant de parents» sur la présence des camps en France pendant la seconde guerre mondiale. C’est un sujet totalement méconnu, voire occulté par les français en général.

    Une partie de cette série fut exposée en 2017 et j’espérerais cette exposition dans un lieu de mémoire.

    A découvrir : https://1011-art.blogspot.fr/p/enfant-de-parents.html
    Et aussi : https://1011-art.blogspot.fr/p/lettre.html

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