16-18 Mai. Bruxelles. Richard Kenigsman expose sous protection dans une Belgique de moins en moins joyeuse. Sarah Cattan

Un matin récent, j’ai reçu ce mot de Kenigsman, que les lecteurs de TJ connaissent bien.

« En tant qu’Auto-Elu premier artiste Yid du XXI -ème siècle qui ne cause pas de lui mais de vous-même, j’ai le plaisir de vous inviter à Return to the Future.

Return to the Future n’est pas un tombeau en l’honneur ou à la mémoire de ma grand-mère Chaya gazée à Auschwitz parce que juive. Non ! Cette rétrospective est résolument tournée vers le futur.

En effet, j’ai conscience aujourd’hui qu’en exposant je m’expose comme un militant, un militant pour le retour vers le futur. Le contraire du No future des punks.

Je ne suis pas d’origine juive. Non ! Je suis Juif !

Souviens-toi que tu as un futur, me disait mon père. C’est pourquoi je dédie cette exposition à mon fils Jonah et à ses descendants.

Dans son superbe Eloge de la guerre après la Shoah, Michael Bar Zwi écrivait : Lorsqu’on interrogeait mon père pour savoir comment, ou grâce à quoi, il avait réussi à survivre, il répondait sans hésiter : les chaussures, l’humour et la musique.

Quant à mon amie psychanalyste Evelyne Chauvet, elle ajoute une nuance importante : Le droit de se battre. Avec, pour chaque survivant ou fils de survivant, ses propres moyens du bord.

Ainsi, né en décembre 1945, je m’autorise de transmettre mais aussi reprendre le combat de mes parents avec les armes que me donne la peinture.

Mon père, Majlich Émile, était maroquinier. Je ne suis pas cordonnier mais comme lui, je joue du violon, et comme lui, j’aime l’humour et l’auto dérision. Dans l’esprit de la tradition juive : c’est-à-dire rire avec les larmes.

Mes tableaux sont muets mais certains se marrent pour mieux vous rire, pour mieux vous dire qu’ils auront toujours le dernier mot !

Alors écoutez-les, riez-les ou lisez-les, lisez ces quelques mots en yiddish qui étaient autant de paroles d’espoir Yidn zoll Zeyn Fraylich  Juifs qu’il y ait de la joie

 Aujourd’hui de sombres nuages s’accumulent. Je crains qu’une grosse drache antisémite comme on dit à Bruxelles nous tombe dessus. Quelques gouttes tragiques sont déjà tombées. Nous savons bien que notre civilisation n’est qu’un vernis. Alors, ensemble, remettons-en une couche !

 Return to the future dans une Belgique de moins en moins joyeuse

Elle accueillit jadis l’exposition universelle et internationale de Bruxelles. C’était en 1958. Ce qui est à la fois unique et scandaleux c’est que les services de sécurités policières et privées vont devoir protéger le public et les lieux. Je viens d’être prévenu. Les annonces déjà partagées via la com ont alertés les autorités. Une galerie qui expose un artiste juif, connu internationalement, doit être en Belgique protégée, comme les synagogues où les écoles. Pas encore l’armée, ajoute Kenigsman. Je rentre donc en résistance.

De Return to the future, Michel Lussan-Loïtzanski[1], nous dit d’abord qu’il s’agit de 14 tableaux monumentaux réalisés ces dernières années, exceptionnellement réunis en la Galerie Au Fil du temps de Sylvain Berkowitsch pour une performance unique de 3 jours.

Être Juif et exposer au Royaume de Belgique : oui, mais sous protection policière

Mais très vite, il confie les tensions qui agitent le Royaume de Belgique, ulcéré qu’aujourd’hui, on en soit rendu là : ne voilà-t-il pas en effet que les forces de l’ordre et de sécurité bruxelloises viennent d’exiger en last minute de protéger l’artiste et ses œuvres. Par principe de précaution.

Ainsi, en Belgique, après les synagogues, les écoles juives et les institutions de la communauté, un artiste qui combat la Shoah doit être protégé par des hommes en armes au risque-même de leur existence : Dans quel pays vit Richard Kenigsman ? A quelques kilomètres des Institutions Européennes, en mai 2019, à 10 jours d’élections démocratiques, le Royaume de Belgique fait l’objet de provocations indécentes, d’une vague de caricatures antisémites et d’une montée fulgurante de l’antijudaïsme, toléré, voire financé par les deniers publics.

Ces infortunes de la vertu ne datent malheureusement pas du tout premier attentat djihadiste perpétré en Europe en 2014 contre le Musée Juif de Bruxelles par Medhi Nemmouche, défendu par les avocats de Dieudonné insultant les victimes dans le prétoire et grimaçant la quenelle de l’infamie en public.

Michel Lussan fustige tout un système : Depuis des lustres le Bourgmestre de Molenbeek-, d’où sont partis les assassins du Bataclan et de l’Hypercacher- protège et dénie la réalité des organisations criminelles qui y sévissent dans tous les domaines, du trafic d’armes et de drogues à la traite des êtres humains- en particulier de nombreuses femmes que   ces gangs exploitent dans des réseaux de prostitution ayant pignon sur rue et dans certains médias subsidiés par le gouvernement de la Fédération-Wallonie Bruxelles comme les pleines pages-photos couleurs – du quotidien à large audience francophone La Dernière Heure. Ici on réchauffe depuis des dizaines d’années le réchauffement du climat d’un sanctuaire de corruption systématique, conclut-il.

Kenigsman choisit la Résistance

Pourtant, ajoute Michel Lussan, Richard Kenigsman ne négocie pas avec ces délits criminels, il ne s’indigne pas, il ne se lamente pas, il choisit La Résistance. En peignant , en jouant du violon, en brandissant l’arme ultime de l’Art. La dynamite de la dérision. Un geste citoyen qui, hérité simultanément des Valeurs des Lumières et d’un Karl Kraus, phare et brûlot de la modernité viennoise, Maître éminent de la Kulturkritik qui cultiva la provocation au nom d’une certaine idée de la culture et de la vérité, enragé magnifique et auteur d’authentiques chefs-d’œuvre…

Résistant.

Kenigsman ? Il illustre la volonté d’utiliser l’Art et la dérision pour vaincre le retour de l’indicible.

Kenigsman ? Il poursuit inlassablement la transmission du combat pour la Mémoire de la Shoah.

Kenigsman ? Il alerte sur l’urgence du combat, décrypte les ressorts et les complicités de la bataille.

Face au retour de l’ignominie en ces temps mauvais, il en appelle à l’humour, ultime forme de Résistance. A l’autodérision, dans la tradition du Revival Yiddish, à la jubilation du Klezmer, le tout baigné des influences d’un Mel Brooks ou d’un Woody Allen, faisant dire à son ami Antoine Grumbach que face à un terrorisme sourd […] Seule l’arme de la dérision était implacable et à Daniel Sibony qu’il avait créé une subtile complexité entre le divin et le trop-humain ; entre l’être et le paraître ; entre la détresse et la drôlerie.

CoBrA, Dada, surréalisme et Kenigsman

Kenigsman ? Il incarne cette transmission de la Yiddishkeit qui va du Rhapsody in Blue de Gershwin au CoBrA du Belge Alechinsky en passant par le Dada, cette guerre déclarée à l’art bourgeois par Samuel Rosenstock[2] et ses amis artistes qui s’essayèrent à re-construire un autre art, mais encore le surréalisme du roumain Isidore Isou-Goldstein, Chevalier des arts alertes[3].

Kenigsman ? Il transcende les situationnistes par ces détournements fulgurants, façon Gefilte Fish amélioré de frites sauce mayo relevée et a fait siens les mots de Malraux : L’art est comme l’incendie, il se nourrit de ce qu’il brûle.

Né en 1945 en Belgique, l’artiste vit et travaille à Bruxelles. Internationalement connu pour son engagement dans la communauté juive, Kenigsman, depuis plus de trente-cinq ans, développe sa recherche autour de trois pratiques : la peinture, la sculpture et le dessin, revisitant et détournant avec ironie, autodérision et subversion d’anciennes photos et publicités, afin de répondre par la peinture à la question de l’identité juive et des traces de mémoire qui s’y rattachent.

Le très sérieux et donc le très jouable sont tour à tour à l’œuvre dans son travail, mis en exergue par des traits sarcastiques qui glissent de l’humour à la subversion.

Pour lui l’enjeu est : Qui suis-je ? Juif, artiste, religieux, laïc, belge, européen ? Pour nous le jeu est : Qui sommes-nous ?” Spectateur, critique, collectionneur, Juif, français, belge … L’épreuve et le risque de la peinture en moins.

Son Homme du Roi Et ses Bouts de souffle, s’ils cohabitent avec 38 variations sur le mot juif, Eros errant ou La valise abandonnée[4], le font aussi avec Peintures mordantes, œuvres monumentales auxquelles Kenigsman a recours pour se faire l’écho de scènes militaires ou de violences urbaines qu’il découvre hélas quotidiennement dans la presse. Ainsi, Les insoumis, grande toile de 2,10 m sur 2,00 m, date de 2000 et met en scène l’acte de résistance d’un gendarme et de ses deux compagnons qui à trois arrêtent le XX -ème convoi de déportés juifs vers Auschwitz. Ce tableau qui rend hommage aux victimes de la Shoah et au courage de ceux qui ne se soumettent pas oppose au fanatisme de la mort la loi de l’Humanité de l’homme.

Après les tragédies du 11 septembre la démarche de Kenigsman se veut plus universelle et son travail ne renvoie plus exclusivement à ses seules origines. La guerre, la violence surgissent dans ses travaux. Richard Kenigsman se mesure à la peinture monumentale, faisant subir à ses toiles des traitements spéciaux : Elles sont décapées, abrasées, littéralement corrodées au cours de longues séances de travail.

Je ne peux pas m’en empêcher. Allez-y, entrez et riez. Arrêtez-vous parce que ce qui vous fait rire est irrévérencieux et scandaleux, dit[5] de lui Richard McBee, peintre de la Torah et écrivain sur l’art juif. Vous êtes entrés dans un monde où vos croyances les plus sacrées et vos notions religieuses sont truquées comme des publicités bon marché. Ne vous méprenez pas. Ils ne sont pas anti-religieux, mais son art traite Yiddishkeit comme une marchandise dans le monde mondain qui a besoin de publicité, et d’examiner et de repenser comme n’importe quel autre produit dans le monde des idées. Quelle idée !

Le même évoque Ces affiches qui jouent avec des images populaires tout en remettant en question le succès juif et l’assimilation dans la culture moderne et le recours de l’artiste à l’imagerie populaire comme moyen de commentaire social.

Richard Kenigsman, êtes-vous un artiste juif ?

Commençons par une citation car il faut bien de temps en temps sortir son parapluie, surtout pour aborder un tel sujet sans se mouiller évidement.

Comme par hasard il s’agit d’un auteur juif qui a ma connaissance ne s’est guère exprimé sur son judaïsme. Il s’agit d’Harold Rosenberg et de son livre : « La dé-définition de l’art ».

Je parlerai donc de la dé – définition de mon identité d’artiste juif ou de juif en général.

Pourquoi définir ?

Pourquoi finir ?

Pourquoi finir un tableau d’ailleurs ?

N’y a-t-il pas des tableaux bien faits qui ne sont pas finis, pas achevés ? On achève un tableau comme on achève un taureau, disait Picasso. Je préfère donc sortir des sentiers rabattus de l’achèvement et des définitions ou des subtiles distinctions entre sensibilité juive, thèmes juifs, références à la Shoah, à l’humour ou l’autodérision juive. Je préfère l’inachèvement.

Rembrandt peignait de superbes figures de juifs sans être Juif lui-même. Je me contenterai donc de me limiter à mes pièces d’identités qui me désignent comme citoyen belge, né le 19 décembre 1945 à Etterbeek pas loin de Molenbeek, personne n’est parfait.

C’était après la guerre.

Si j’étais né quelques mois plus tôt un docile fonctionnaire belge aurait tamponné sur ma carte d’identité comme sur celle de mes parents 4 lettres rouge sang : JUIF.

Cela m’aurait donc assigné à résidence identitaire jusqu’à ce que mort s’en suive.

Alors donc je botte en touche, me dérobe, ah que j’aime les robes, me détourne de toute définition trop restrictive qui me limiterait m’enfermerait, m’enliserait, m’enchaînerait.

Je tisse ma toile à peindre de fil bleu certes, cette couleur reprise dans la Torah et que personne évidement n’a jamais pu reproduire ni évidement d’écrire.

Le pauvre Rothko s’est noyé dans son propre sang pour l’avoir trop cherché en vain ou en vin.

Je prends du fil noir jaune rouge (vive la Belgique) ou du fil à coudre pour peaux de croco de l’atelier de mon père sur lesquels j’ai peint les derniers Bouts de souffle. C’aurait pu être les miens. Bouts de souffle, comme le bout du bout d’une identité indéfinissable qui s’envole.

Mais En même temps comme dit l’autre, d’une identité que l’on hait ou jalouse mais qui ne s’arrêtera pas de sitôt de souffler.

RETURN TO THE FUTURE à la Galerie AU FIL DU TEMPS de Sylvain Berkowitsch.

895 Chaussée d’Alsemberg

1180-Bruxelles

Du 16 au 18 mai.

En sneak preview Kenigsman vous incite déjà en teasing à découvrir virtuellement les œuvres accrochées et le catalogue de l’expo, ici et maintenant, d’un seul clic sur

http://proemailing.eu/Kenigsman/

http://proemailing.eu/Kenigsman/pdf/Kenigsman_V2.pdf

Pour le plaisir, le Site irraisonné de l’artiste : www.richardkenigsman.com

Richard Kenigsman est présent dans de nombreuses collections privées à Bruxelles, Paris, Milan, Londres, New-York et Jérusalem.

Sarah Cattan

[1] Philosophe, Directeur de Communication ET Administrateur de l’AMS, Association pour la Mémoire de la Shoah.

[2] Alias Tristan Tzara

[3] Isidore Isou, chevalier des arts alertes. Diane Lisarelli. Libération. 8 avril 2019. Rétrospective jusqu’au 20 mai. Centre Pompidou. Paris.

[4] Avec Jacques Sojcher. Editions Fata Morgana.

[5] En 2001.

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1 Comment

  1. La description que vous faites de la société belge est très juste et lucide, mais malheureusement elle pourrait également s’appliquer à la société anglaise, et la société française n’en est plus très éloignée.

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