Les recettes des écoles juives qui associent tradition et excellence

En France, la centaine d’établissements juifs, dont 76% sont sous contrat avec l’État, accueille 31 700 élèves. Un chiffre stable malgré les départs accrus vers Israël. Les parents y cherchent un enseignement religieux et identitaire poussé, l’excellence des résultats. Et une protection face à l’antisémitisme. Reportage à Lucien- de-Hirsch, à Paris, le plus ancien d’entre eux.

Quand quelqu’un tombe dans la rue, on a envie de rire. Pourquoi ? » Des doigts se lèvent : « Parce que c’est drôle ! », rigole un adolescent. « Parce qu’on est soulagé ? », tente un autre qui porte une kippa, comme la totalité des garçons de cette classe de quatrième. Filles et garçons ont revêtu la blouse en jean bleu réglementaire de cet établissement privé juif sous contrat avec l’État.

« Bravo ! Quand je vois tomber quelqu’un, je ris parce que je suis soulagé de ne pas être tombé. C’est la catharsis, la purgation des passions », enchaîne le volubile professeur de français, Élie Ebidia, avec quelques traces d’accent séfarade. Cet amateur de Proust est aussi le chef de cet établissement du XIXe arrondissement de Paris, Lucien-de-Hirsch, créé en 1901, le plus ancien de France. Avec ses 1 200 élèves, c’est aussi l’un des plus importants, avec Yabné dans le XIIIe arrondissement. Une exception car, partout ailleurs, la centaine d’établissements juifs affiche une taille plus modeste. De Yavné à Marseille à Aquiba à Strasbourg ou Maïmonide à Boulogne, la plupart ont un point commun : de très bons résultats, qui s’améliorent depuis dix ans, des résultats souvent supérieurs à la moyenne nationale, selon Patrick Petit-Ohayon, directeur de l’action scolaire du Fonds social juif et coordinateur des écoles juives. « Certainement grâce aux enseignants, mieux formés, plus stables, alors qu’ils étaient autrefois contractuels à 70 %. »

Lucien-de-Hirsch affiche 100 % de réussite au bac et 60 % de mentions, dont une forte proportion de mentions très bien, surtout en série scientifique. Un résultat qui s’explique « par le travail, tout simplement, raconte le directeur. On n’a pas envie de faire une école juive au rabais. Notre objectif ce n’est pas de préparer au bac mais à l’enseignement supérieur ». En plus des programmes de l’Éducation nationale, les élèves suivent de quatre à douze heures d’enseignement religieux par semaine : talmud, histoire, hébreu, voire araméen. Un enrichissement mais aussi un marathon qui décourage certains enfants, selon des parents d’élèves passés par ces écoles.

« Surinvestissement des parents »

Une pratique religieuse surchargée et trop scolaire peut être néfaste mais « beaucoup ont revu leur copie ces dernières années, avec une volonté pédagogique plus subtile », insiste Patrick Petit-Ohayon. Il y en a pour toutes les chapelles. Dans le réseau d’écoles de l’Alliance israélite universelle et celui de l’Ort, on se cantonne à quatre à six heures par semaine, avec une « approche surtout culturelle ». Le réseau Ozar Hatorah, plus engagé religieusement, la Fédération nationale des écoles juives autonomes, à laquelle appartient Lucien-de-Hirsch, et les écoles juives loubavitch affichent six à huit heures hebdomadaires. Mais des écoles plus orthodoxes demandent dix à douze heures par semaine, voire de douze à quinze heures dans le hors-contrat qui représente pas moins de 24 % des écoles juives. Des écoles souvent adeptes de la non-mixité entre garçons et filles et dont l’attractivité progresse. L’école juive moderne, récente et seule de son espèce, cherche quant à elle à concilier tradition et modernité, à l’image de Delphine Horvilleur, rabbin du mouvement juif libéral.

« Plus on veut alléger, moins les enfants en font », estime cependant le directeur de Lucien-de-Hirsch, selon qui les meilleurs élèves sont aussi ceux qui réussissent le mieux dans les examens religieux. « Vous êtes sûre qu’ils vont lire ou faire du sport quand ils rentrent à la maison ? Non. Ils s’installent devant les écrans. » L’école propose d’ailleurs de nombreuses heures d’études surveillées après l’école. « Notre mérite est relatif, nuance le directeur, nous sommes très aidés par les parents, qui sont beaucoup derrière leurs enfants. Certains connaissent tous les points du programme ! Il ne s’agit pas d’oublier quoi que ce soit. » Sarah*, professeur dans une école de la banlieue est, évoque ce « surinvestissement des parents » et un « système un peu à l’ancienne »: «Travail, excellence et devoirs dans une ambiance bienveillante, sans pour autant négliger les nouvelles technologies, très présentes », détaille-t-elle. Certes, comme dans les établissements catholiques élitistes, les élèves trop moyens ne s’éternisent pas. « On fait bien comprendre à ceux qui stagnent à 10 ou 11 qu’ils feraient bien d’aller voir ailleurs », raconte un père de famille dont le fils, autoéjecté de Yabné, qui tient à ses 70 % de mentions au bac, a fini par atterrir dans une boîte à bac juive de l’Ouest parisien. « C’est vrai qu’à Yabné, une très forte discipline est attendue. Il faut bien réussir, surtout dans les matières scientifiques », raconte une professeur d’histoire qui enseigne dans ce lycée. Si les élèves y sont surtout issus de milieux aisés, on y trouve aussi des boursiers avec des familles monoparentales ou divorcées, des Parisiens venus de tous les arrondissements mais aussi des familles de Levallois, d’Ivry, du Kremlin-Bicêtre, etc.

Des sas de sécurité impressionnants

Parfois, une candidature non juive arrive sur le bureau d’un directeur. « Dans ce cas, on décourage. On insiste sur le fait que l’enfant risque de se trouver un peu seul », raconte Martine Cohen, chercheuse au CNRS et spécialiste des écoles juives en évoquant « une pression à l’orthodoxie ». Le certificat de mariage juif des parents est parfois demandé lors de l’inscription. « Cela ne devrait pas être obligatoire puisque ce sont des écoles sous contrat, censées accueillir tout le monde. » Un enfant dont la mère est non juive ou s’est convertie chez les libéraux « peut avoir du mal à entrer dans certaines écoles », affirme-t-elle.

À un tel point que beaucoup de familles juives ne souhaitent pas mettre leurs enfants dans une école juive : « Mes parents ont préféré m’inscrire à Notre-Dame-de-Sion, un lycée catholique de bon niveau, plutôt qu’à Yavné, qui est pourtant très bon, explique un jeune juif marseillais. Pour moi, la religion doit être transmise à la maison par les parents et le samedi à la “syna”. Ceux qui fréquentent l’école juive sont plus religieux que moi dans leur pratique. Ils ne vont pas travailler le vendredi après-midi, par exemple, ce que permettent ces écoles. Or, dans le monde professionnel, c’est compliqué de partir du travail tous les vendredis plus tôt pour préparer le shabbat. Cela restreint beaucoup les possibilités. »

La communauté estime qu’un tiers des enfants juifs sont scolarisés dans une école juive, un tiers dans une école catholique, un tiers dans une école publique. Si, en 1945, seuls 400 élèves étaient scolarisés dans une école juive, ils sont passés à 30 000 en 2008. Un accroissement lié à l’arrivée des juifs d’Afrique du Nord, plus religieux. La montée de l’antisémitisme dans les années 2000 a aussi joué un rôle. Ils sont 31 700 en 2018, un chiffre stable, les départs accrus vers Israël étant compensés par l’arrivée d’enfants venant d’écoles publiques.

Si, dans le XVIe arrondissement de Paris, les élèves juifs sont souvent scolarisés dans le public « de bon niveau et bien fréquenté », c’est moins vrai dans l’est de la capitale où l’on peut être plus tenté par l’enseignement juif. « J’ai fait mes études au lycée public Arago, place de la Nation », raconte Simon*, un informaticien du XIe arrondissement, « mais vu le climat d’antisémitisme, j’ai dû mettre mes filles dans une école juive ». Très discrètes pour des questions de sécurité, ces écoles ont instauré des sas de sécurité impressionnants, avec vitres sans tain et code de sécurité à l’entrée. Un arsenal renforcé après les assas­sinats commis à l’école Ozar Hatorah de Toulouse, en 2012. « Les enfants font tout pour se fondre dans la masse mais les faits les rattrapent. On les ramène à leur identité juive, on les insulte, ils sont pris à part. Plus rarement, ça va jusqu’aux coups. Parfois, ce sont les enseignants qui font des réflexions… », raconte Yaël *, mère de cinq enfants. « Une famille vient d’inscrire ses enfants chez nous car les camarades de ses filles, inscrites à l’école publique, chuchotent sur son passage : “Méfie-toi ! Elle est juive ! », raconte Élie Ebidia. Cette crainte de l’antisémitisme, parfois un moteur, ne suffit pas à expliquer ce choix. Même si le niveau des écoles peut attirer certaines familles peu pratiquantes, par contraste avec le public, le choix est d’abord identitaire, lié à la volonté de transmettre la culture et la religion juive. D’autant plus que les fêtes religieuses sont respectées. Pour Martine Cohen, « c’est un monde préservé, un entre-soi. Le risque, c’est que ça enferme. Certains ne côtoient pas du tout le milieu non juif. Ils peuvent avoir peur en en sortant. »

Que deviennent les anciens élèves ? La plupart de ceux de Yabné partent à Dauphine, en médecine, en droit et dans des écoles de commerce. Par crainte de l’antisémitisme et d’un avenir économique incertain, beaucoup partent à l’étranger. Et plus d’un tiers des bacheliers fréquentant les écoles juives partent faire leurs études en Israël, selon Patrick Petit-Ohayon. Une tendance induite par les lycées français eux-mêmes puisque beaucoup participent au programme « bac bleu-blanc », chaque année en décembre, coorganisé avec l’Agence juive. Pour renforcer l’identité juive des élèves, ils visitent des lieux emblématiques de l’histoire d’Israël, pendant une dizaine de jours. Mais ils découvrent surtout ce qu’Israël leur propose après le bac : études universitaires, Tsahal, service civil. Certains reviennent. Mais beaucoup s’y installent aussi définitivement.

MARIE-ESTELLE PECH

Source lefigaro

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