Combattre les préjugés à l’école ? Pas si simple ! par Jean-Paul Fhima

L’émission « Des paroles et des actes », a débattu jeudi 22 janvier sur France 2 du rôle de l’école dans la lutte contre les dérives terroristes qui menacent nos jeunes. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a souligné l’importance pour les internautes de comprendre par eux-mêmes le danger que représentent les sites et vidéos de propagande antisémite, révisionniste ou complotiste. La société et les adultes, mais aussi bien sûr l’école et les pouvoirs publics, doivent les aider à en finir avec cette mécanique de la terreur et de la manipulation.
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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation Nationale, a ensuite rappelé qu’on ne peut pas abandonner nos enfants à des réseaux internet qui fonctionnent parfois comme de véritables services de recrutement sectaire. « Il faut lutter contre les préjugés » a-t-elle répété. Ces préjugés colonisent les esprits des adolescents, comblent une quête de sens ou une certaine inquiétude existentielle, et les incitent à commettre l’irréparable.
Lutter contre les préjugés ? Pas si simple. On sent bien que les efforts du gouvernement vont dans ce sens. Mais sera-ce suffisant ? Certes, les mots comptent, les discours rassurent et désamorcent les fantasmes ou les peurs. Mais les moyens mis en œuvre, complexes et à l’épreuve de la durée, sont-ils à la mesure du défi ?
« Laïcité, autorité, fermeté», étaient les maîtres-mots du discours de Manuel Valls à l’Assemblée nationale le 13 janvier dernier en hommage aux victimes des attentats.
« Il s’agit de lutter contre les préjugés qui déconstruisent la société française », a rappelé le Premier ministre. Ces préjugés sont les stéréotypes et les clichés immondes, terreau de haine et de division, qui se nourrissent du repli, de la discrimination et de l’ignorance.
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Tout le monde est d’accord sur ce point. C’est à l’école que les préjugés doivent être combattus auprès de nos jeunes dont on a, sans doute, négligé la formation de futurs citoyens responsables et fiers d’appartenir à la nation. Ce sens du bien commun, de la solidarité et de la tolérance, doit retrouver le chemin de l’école. Car « l’école, c’est la République » a rappelé Manuel Valls.
C’est bien sûr dans l’unité et dans un ‘’esprit des lumières’’ que les préjugés doivent céder le pas au sens critique et au goût du savoir. Mais la tâche est immense. Le chef du gouvernement a reconnu que nous avons derrière nous « les insuffisances et les échecs de trente ans de politique d’intégration. »

Des dérives idéologiques

ont mis à terre les fondements traditionnels

et solides de l’école de la République.

Eric Zemmour nous rappelle dans son dernier livre Le Suicide français (Paris, novembre 2014, pages 157-161) que la vague de « pédagogisme intégrateur » a commencé avec la réforme Haby sur le collège unique en 1977. L’obsession progressiste des gouvernants de l’époque voulait démocratiser l’école et la faire entrer dans la société moderne c’est-à-dire la coller au plus près du modèle anglo-saxon où, avouons-le, la rigueur des contenus disciplinaires est moins importante que la créativité dite ‘’spontanée’’ des élèves. On voit aujourd’hui les conséquences de ces dérives idéologiques qui ont mis à terre les fondements traditionnels et solides de l’école de la République.
L’école repose sur une double autorité qu’incarne l’enseignant : celle du statut (garant de l’institution) et celle de la compétence (chargé des apprentissages). A travers les savoirs enseignés, les profs se réfèrent à des valeurs et à une éthique qui forment les élèves et les responsabilisent (Colloque “Quelle autorité à l’école”, Cahiers pédagogiques 25 et 26 octobre 2004).
Dans la pratique quotidienne de la classe, les élèves doivent trouver leur propre place dans la confrontation permanente entre l’intérêt collectif et le besoin individuel. Quand ils prennent la parole, interviennent, contribuent au cours, ils acceptent les règles du jeu qui imposent des contraintes mais aussi des libertés et des droits, ils sont déjà des citoyens à part entière.
Mais attention, pas d’utopie ni de démagogie ! Gare à l’idéal du tout participatif laissant la part belle aux adolescents ‘’inventifs et curieux’’, avides de partager et d’apprendre.  Les « jeunologues » et autres gourous du pédagogisme sont des fauteurs de troubles qui ont tué l’école de la République. Moi je vois des élèves de plus en plus passifs et consommateurs, attentistes et suspicieux. L’inclination naturelle et bienfaisante au travail, à l’acquisition des méthodes et à l’assimilation de nouvelles connaissances, se réduit comme peau de chagrin. La culture générale s’appauvrit, la propension à l’effort disparait, les règles et les codes de conduite fixés par le règlement intérieur des établissements sont contournés et de plus en plus mal acceptés, y compris par les parents. L’obsession de l’égalitarisme a tué l’école. L’exécration de l’élitisme l’a nivelé vers un bas crépusculaire.
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Le professeur a été dépossédé de sa place centrale dans le système scolaire. Il doit pouvoir donner la parole, mais aussi contrôler celle-ci et la maitriser. Il doit pouvoir incarner l’autorité, sans y renoncer par découragement ou lassitude. Pour lutter contre les préjugés, l’école doit avant tout lui redonner confiance, pour le réinvestir dans ce rôle indispensable qui est bel et bien celui d’un formateur, d’un maître. Il s’agit de négocier sans s’enliser, de convaincre sans punir, d’être ferme sans excès. Parler d’autorité c’est d’abord l’incarner soi-même.
Si enseigner revient seulement à anticiper les désirs, les attentes ou les interdits de nos élèves, et à livrer les contenus des disciplines enseignées à leurs bons vouloirs, nous contribuons alors à fragiliser nos traditions au risque de régresser culturellement. Que dire de cette obsession consensuelle et de cette autocensure de circonstance qui nous font souvent, dans nos cours, aborder les programmes sur la pointe des pieds ?
Plus les élèves sont jeunes, plus les réactions sont vives et moins le dialogue est facile. Cette tendance, assez nouvelle, est inquiétante. Elle suppose que l’on vient à l’école non pour y découvrir des connaissances et des vérités sur le monde que l’on n’a pas encore, mais pour y voir confirmer des idées reçues et une vision simpliste de ce même monde qu’on a déjà. Si le discours du professeur ne convient pas aux élèves, ils le font savoir. « Quand on dit des choses qui ne me plaisent pas, ça m’énerve » m’a vivement rétorqué une élève de seconde.
Les préjugés commencent ainsi : une lecture univoque de la réalité qui exclut toute confrontation, tout débat, toute analyse.
Quand on est, par exemple, prof d’histoire dans un lycée de région parisienne, on sait à quel point il existe des sujets de leçon qu’on aborde avec difficulté. Délicat de prononcer certains mots dans certaines classes, au risque d’y voir flotter malaise et sourires entendus dans le meilleur des cas, agacement voire franche hostilité dans les pires.

Enseigner la Shoah est devenu un problème

bien plus qu’une solution

La guerre est déclarée quand vous prononcez les mots qui fâchent : juif, Shoah, Israël, conflit israélo-palestinien. Même en affichant une précautionneuse neutralité, même en s’en tenant à une factualité acceptable et objective, on avance sur un fil, scruté de près.
Alors que l’on vient de commémorer la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, comment ne pas y réfléchir ?
Enseigner la Shoah est devenu un problème bien plus qu’une solution. Le signal d’alarme lancé ces dernières années par d’éminentes personnalités, dont Claude Lanzman (Le Monde, 30 août 2011), n’a pas été entendu. Les enseignants peinent de plus en plus à enseigner la Shoah « face aux attitudes réfractaires de leurs élèves »
Le chef du gouvernement l’a rappelé sans mâcher ses mots dans son discours du 13 janvier dernier: « Le premier sujet qu’il faut aborder clairement, c’est la lutte contre l’antisémitisme (…) né dans nos quartiers, sur fond d’Internet, de paraboles, de misère, sur fond des détestations de l’État d’Israël, et qui prône la haine du juif et de tous les juifs (…) Comment on peut accepter qu’un gamin de 7 ou 8 ans dise à son enseignant quand il lui pose la question ‘’quel est ton ennemi ?’’ et qu’il lui répond ‘’c’est le juif’’ ? »
Le Premier ministre a courageusement fait le constat lui-même : « La République n’est pas possible sans l’école, et l’école n’est pas possible sans la République. Et on a laissé passer trop de choses dans l’école. »
L’école ne fera pas de miracles. Il lui faudra beaucoup de temps et de courage pour lutter contre ces ‘’antivaleurs’’ qui la menacent d’une débâcle sans précédent.
Alors que leur moral est au plus bas, les profs sont 54% au bord du burn out, 40 % se sentent délaissés par leur hiérarchie, 68 % ont déjà pensé changer de métier, 37 % ont été victimes d’insultes, 51 % déconseillent à leurs enfants de faire le même métier (sondage Ifop paru dans le Huffington Post, 18 juin 2014) … Que faire pour arrêter l’hécatombe ?
Peut-être cette école a-t-elle failli par faiblesse et impuissance. Peut-être devra-t-elle avant tout remettre en question ses propres certitudes, ainsi que les doctes injonctions de ses experts qui, ici pédagogues, là universitaires, ont distribué en cadence réformes et circulaires au gré de leurs envies ou de leurs caprices.
Pour lutter contre les préjugés de nos élèves, l’école doit d’abord affronter ses propres préjugés qui l’ont conduite à l’échec de sa mission. L’école n’est pas victime de cet échec, elle en est aussi responsable. Elle devra remettre au cœur du système les professeurs eux-mêmes qui, sur le terrain et au jour le jour, cernent mieux que personne les vrais problèmes et comprennent les vrais enjeux.
Les enseignants ont besoin de respect et de pouvoir. Démunis de l’un comme de l’autre, ils baissent les bras à leur tour.
Qu’on se le dise une fois pour toutes. Ce sont les enseignants qui sont au cœur du système scolaire. C’est leur honneur et leur image qui est au centre de l’institution républicaine. Restaurer l’école, c’est d’abord restaurer la place de ces enseignants, leur donner les moyens de l’autorité, de la fermeté et du « feu ardent » qui légitime et renforce leur vocation à transmettre et à former.
Jean-Paul Fhima
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