L’Homme, étonnement de Dieu, par Haïm Korsia, Grand Rabbin de France

Séance publique annuelle des cinq Académies de l’Institut de France                     Paris, le 23 Octobre 2018

Ce monde si bien ordonné ne peut constituer aucune surprise, aucun étonnement, pour son Créateur. Récemment, nous apprenions même que les galaxies se comporteraient comme des horloges, tournant sur elles-mêmes, quelle que soit leur taille, au rythme d’un milliard d’années pour un tour entier. Matière à étonnement, voire sidération pour nous – pas pour Lui. Et pourtant, avec l’Homme et le libre-arbitre que Dieu lui offre, l’Eternel instille la possibilité de faire ou de ne pas faire, de respecter Ses demandes ou non. L’omniscience de Dieu laisserait-elle place à l’étonnement ?

Vous me faites l’insigne honneur de me demander, non pas une réponse – elle se trouve dans le titre de mon intervention- mais une piste pour réfléchir à cet oxymore intellectuel : parler de l’étonnement de Celui qui sait tout.

Et pour commencer, sommes-nous d’accord pour parler du même « étonnement »?
Vous donniez, monsieur le président, la définition qu’en offre le dictionnaire de l’Académie française, mais entrons dans le détail de l’édition parue en 1694 :

  • –  Estonner : surprendre par quelque chose d’inopiné ; et au figuré : Ebranler, faire   trembler par quelque grande, par quelque violente commotion.
  • –  S’estonner : Estre estonné ; il signifie aussi s’émerveiller, trouver « estrange »

J’aime ce rapprochement entre étonnement et émerveillement, celui que fait le pape François dans son encyclique Laudato Si où il explique que si nous osons approcher la nature sans étonnement et émerveillement, alors, notre attitude sera celle du dominateur et du simple consommateur. Or nous sommes bien plus.

Dans la neuvième et dernière édition du même dictionnaire, on nous dit que l’étonnement est un brusque ébranlement moral, de la stupeur, une vive surprise, ou même une surprise mêlée d’admiration. On ajoute que l’étonnement dans le bâtiment c’est l’action d’ébranler, de lézarder, de faire éclater par un choc ; en joaillerie, une fêlure produite accidentellement dans un diamant au cours de sa taille ; en technique c’est un procédé de désagrégation de matières minérales ou métalliques, lorsqu’elles sont particulièrement compactes. Enfin, pour les vétérinaires, l’étonnement est une lésion causée au sabot du cheval par un choc violent.

Il ne s’agit certes pas pour nous de parler de l’étonnement du diamant, ni de l’étonnement du sabot de cheval, encore moins de la lézarde d’un bâtiment ou de la désagrégation de matières minérales…même si ces blessures laissées par la violence d’un choc méritent sans doute d’être méditées. On note en effet dans toutes ces définitions la prégnance de la surprise, de la violence, de la soudaineté: c’est une fêlure qui en résulte…et peut-être cette fêlure n’est-elle qu’une autre manière de laisser entrer la lumière, comme le disait si joliment Michel Audiard. Dieu qui « connait sa créature depuis le ventre de sa mère », comme le clame le roi David dans ses Psaumes, ne saurait, Lui, être surpris par cette déflagration qui, finalement, ne fait que traduire ce qu’Il sait pour l’avoir voulu : la fragilité du monde.

Nous nous en tiendrons plutôt ici à l’analyse du « brusque ébranlement moral », à la surprise, à la stupeur et à l’émerveillement…C’est-à-dire à l’étonnement humain. J’irai même plus loin, d’emblée : à ce qui est le propre de l’Homme, l’étonnement.

Aristote nous dit dans son œuvre « Métaphysique » : « C’est, en effet, l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se présentaient les premières à l’esprit; puis, s’avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles, enfin la genèse de l’Univers. Or, apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est reconnaître sa propre ignorance ».

Aristote est toujours aussi moderne.

Et parce qu’ils la reconnaissent mais ne l’admettent ni ne s’en satisfont, les hommes travaillent sur le monde pour le réinventer à leur mesure. Ils étudient les phénomènes, bâtissent des hypothèses, écrivent des livres, transmutent leur peur et leurs doutes en art et en sciences : en un mot, ne cessent d’ouvrir des portes dans les murs, de forer des fenêtres dans les grottes, d’allumer des lanternes dans le noir. Au lieu de fuir l’étonnement, ils s’en font une échelle vers le ciel.

Mais Dieu, Lui, peut-Il reconnaitre sa propre ignorance ? N’est-ce pas impossible ?

Pour l’homme, cette posture est vitale. S’étonner, reconnaître sa propre ignorance, faire preuve de curiosité pour chercher une explication au monde, pour progresser dans la connaissance, dans la science. Reconnaître sa propre ignorance et chercher à la combler. La poétesse polonaise Wislawa Szymborska, recevant son Nobel de littérature en 1996, expliquait que l’inspiration, quelle que soit sa véritable nature, naît d’un éternel « je ne sais pas ». Elle ajoute plus loin « quoi que nous puissions penser de ce monde, il est quand même étonnant ». Parce qu’il l’est, on peut le dire et chanter; et dès lors qu’il y a quelque chose à dire, quelqu’un écoutera cet Autre par lequel nous grandirons, qui nous élèvera dans le partage de l’étonnement. Le désir lui-même sans cesse recommencé d’aimer n’est peut-être rien d’autre que ce dialogue de deux étonnements.

Rachi, le grand commentateur champenois de la Bible et du Talmud ne dit pas autre chose lorsqu’il répond « je ne sais pas » à ses grandes interrogations sur le texte, non pas pour nous enfermer dans ses propres limites, mais afin de nous forcer à oser enfin penser par nous- mêmes. La Bible et Socrate (Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien) ne disent que cela : Sapere aude, Ose savoir, donc Ose penser, donc Ose t’étonner, c’est l’injonction du poète Horace avant de devenir la devise des Lumières sous la plume de Kant. Qui ne sait pas qu’il ne sait rien ne cherche pas à savoir.

Sans étonnement, pas de recherche, pas de progrès, pas d’évolution, pas de passion. Sans étonnement, pas de foi.
Mais Dieu ?
A moins que pour Lui aussi, il en aille de la foi…en l’Homme.

Car il existe des « phénomènes » que même la recherche et la raison ne peuvent expliquer et que seule la foi peut permettre d’appréhender. La Bible regorge d’exemples de ces étonnements qui ont fait avancer le monde. Abraham à qui on annonce que Sarah va être mère, Sarah dans la même circonstance, sont sceptiques, étonnés. Sarah rit. Mais « est-il rien d’impossible à l’Eternel ?»(Gen. XVIII, 14).

Moïse et le buisson ardent

Et c’est parce que Moïse est étonné par le phénomène du « buisson ardent » qu’il peut entendre l’appel de Dieu : « Il remarqua que le buisson était en feu et cependant ne se consumait point. Moïse se dit: Je veux m’approcher, je veux examiner ce grand phénomène: pourquoi le buisson ne se consume pas. L’Éternel vit qu’il s’approchait pour regarder; alors Dieu l’appela du sein du buisson, disant: “Moïse! Moïse!” Et il répondit: “Me voici.” » (Ex. III, 3-4).

Peut-on imaginer ce que ce monde serait devenu si Moïse n’avait pas été intrigué ? Sans sa curiosité, sa soif de comprendre, son étonnement, les Hébreux seraient-ils sortis d’Egypte ? Aurions-nous osé entrer dans la Mer rouge sans la foi en la parole divine? Et sans cet espoir, se serait-elle ouverte? Aurions-nous reçu les commandements qui guident nos actes et notre vie ? Aurions-nous espéré atteindre un jour la terre promise ?

On dit « miracle », et l’on ne voit pas qu’il s’agit d’abord de provocation à l’étonnement. Les enfants le savent, qui emploient à tout bout de champ le vocabulaire de l’émerveillement : toute découverte est pour eux miraculeuse et, osons les mots, hallucinante, magique même – l’avion qui vole, les points sur les ailes de la coccinelle, les ricochets d’un galet sur l’eau. Comme le sont toutes les premières fois, toutes les étincelles qu’allument dans leurs yeux les bêtes qu’ils caressent, les machines qu’ils apprivoisent, les paysages qu’ils contemplent, les livres qu’ils ouvrent, la beauté du monde. Ils ne savent pas encore ce qu’ils voient, et c’est ainsi que leur imagination pourra se combiner à leur insatiable appétit de comprendre pour en faire des hommes et des femmes. Sensibles au mystère comme à la Raison, aux signes comme aux formules, à la poésie comme à l’algèbre – enfin, des humains tout entiers.

Mais Dieu ? Est-Il aussi étonné de l’étonnement de l’enfant ? De l’étonnement persistant de l’adulte qui n’a pas oublié son enfance ? Ou plutôt, de ce que cet étonnement fait d’eux ?

Il existe dans le Talmud une parabole qui nous raconte comment plusieurs rabbins, évidemment éminemment sages, réunis dans une yeshiva, une université de l’époque, discutent du fait de savoir qui, de Rabbi Eliezer ou de l’ensemble des autres rabbins emmenés par Rabbi Josué, a la juste interprétation concernant une question de pureté. Rabbi Eliezer est persuadé d’être celui-là et pour le prouver, avisant un caroubier dans la cour, il dit « si j’ai raison, que cet arbre soit déraciné ». Et aussitôt l’arbre est arraché du sol et transporté cent mètres plus loin. Ses confrères pas impressionnés du tout lui rétorquent : « et alors, un arbre n’a jamais été une preuve ». Rabbi Eliezer dit alors « si j’ai raison, que l’eau de ce fleuve le prouve » et aussitôt, la rivière changea son cours pour remonter à la source. Les autres rabbins de reprendre « une rivière n’a jamais rien prouvé ». Eliezer s’adresse alors aux murs de l’école: « si j’ai raison, que ces murs s’affaissent » et les murs de pencher. Rabbi Josué gronde en direction des murs : « des sages discutent de la Loi divine, en quoi cela vous regarde-t- il ? ». Et les murs restent en suspens, comme pour ne blesser ni l’un ni l’autre, ce qui pourrait être d’ailleurs une explication plausible à la situation de la tour de Pise…Alors Rabbi Eliezer, en désespoir de cause s’exclame « si j’ai raison, que les cieux le prouvent ». Et une voix céleste s’élève pour proclamer: « pourquoi vous opposer à Rabbi Eliezer, alors que la Loi suit toujours son opinion?». Mais Rabbi Josué se dresse alors et, s’adressant au ciel, s’écrie : « La Thora n’est pas dans les cieux », reprenant un verset du Deutéronome. C’est une autre façon de dire « cette discussion ne Te regarde plus ! « Du fait que la Torah a été donnée au Sinaï, on ne tient plus compte de la voix céleste puisqu’il est dit dans la même Torah (Ex 23): “vous suivrez la majorité”. Or nous sommes majoritaires contre rabbi Eliezer et nous avons donc raison ». Une autre version de l’apostrophe d’André Laignel à l’assemblée en 1981 : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire ».

Le prophète Elie rapporte qu’entendant ces propos, et je ne parle pas de ceux de Laignel, Dieu rit en disant : « Mes enfants m’ont vaincu, Mes enfants m’ont vaincu ». Laissez-moi plutôt traduire, « Mes enfant m’ont étonné, mes enfants m’ont étonné ».
Et c’est d’ailleurs la version de la création du monde d’Albert Jacquard qui me pousse à faire ce choix. Dans sa vision, Dieu inventa le temps et du coup inventa l’ennui. Car le temps qui passe, quand rien ne passe, à la longue cela lasse.

Après avoir créé un monde parfait, Dieu voulut un peu de surprise, ce qui était difficile, compte tenu de Sa nature. Après plusieurs essais, enfin un jour un être parut qui lui parut étrange et pour tout dire un peu raté.

Pour compenser, étant en humeur de plaisanter, Il lui accorda un pouvoir qu’Il n’avait donné à aucun autre : le pouvoir de s’attribuer à lui-même des pouvoirs. Par précaution cependant il marqua ses limites : « Tu ne feras pas ceci, pas cela »

Et dans cet univers docile, soumis, respectueux, la divine surprise se produisit ; celui qui avait interdiction de manger le fruit, désobéit et mangea le fruit.

Alors Dieu ressentit un immense plaisir. Il fut illuminé d’un large sourire : « Quel merveilleux créateur je suis ; voilà qu’une de mes créatures est capable de créer ! »

Le Talmud, de façon à peine plus sérieuse, nous rapporte donc l’histoire d’une humanité qui ayant reçu les commandements de Dieu, se tient désormais prête à assumer elle-même, par elle-même, la responsabilité qui lui a été confiée. Il nous montre ce faisant un Dieu tolérant, attendri presque, qui, loin d’exiger une obéissance aveugle à sa voix, s’étonne et se réjouit de l’autonomie, voire de l’insolence, de sa créature. L’étonnement n’atterre ni ne sidère l’homme qui s’en empare pour en faire un outil : avec lui, il creuse la matière du monde, interroge les évidences, fabrique des concepts qui sont toujours autant de néologismes avant de devenir des mots du langage commun. Car il y a une première fois de la langue comme il y a des premières fois pour l’enfant. Il y a le premier homme qui sut dire « je t’aime » ou « je crois ». Il y a la première femme qui sut dire « je donne la vie ». Il y a des traces de toutes ces premières fois dans nos textes sacrés et dans nos textes tout courts. La langue est un conservatoire des genèses.

Je sais bien qu’on peut penser que les notions: étonnement et Dieu, évoquées dans le titre même de cette prise de parole, sont antinomiques… On pourrait croire à priori, en effet, que Dieu, qui par définition sait tout, voit tout, comprend tout, a tout décidé dans sa grande bonté, ne peut être sujet à l’étonnement, ce sentiment qui, dans l’acception couramment retenue, apparaît comme un synonyme de surprise devant quelque chose d’inattendu, d’inexpliqué, voire d’incompréhensible. Mais, nous le savons, l’Homme est à l’image et à la ressemblance de Dieu. Que serait Dieu privé de la plus fondamentale des capacités humaines, celle qui fait de lui ce qu’il est et ce qu’il peut sans cesse devenir ? Nous devrons en conclure que Dieu Lui aussi, s’étonne…

Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance, Il lui a confié le monde qu’il avait façonné au préalable. Et pour les aider dans cette tâche immense, après les premiers échecs constatés et le Déluge, il leur a donné la Torah au Mont Sinaï.
Il leur a confié la responsabilité de la Terre, en se tenant à distance pour les laisser assumer cette responsabilité, d’ailleurs revendiquée, comme le montre notre parabole : « cette discussion ne Te regarde plus ».

Dieu se tient à distance mais reste vigilant face à l’évolution de sa créature. Il suit ses actes et veille sur elle. Il sait aussi ses fougues et ses déceptions, ses enthousiasmes et ses erreurs : tout ce que l’étonnement fait de l’homme, en l’empêchant de se coucher un jour face au soleil en renonçant. Car il est étonnant que l’humanité jamais n’abdique – malgré les massacres et la douleur ; malgré le Mal et l’obscurité qu’Il fait descendre sur elle. Que jamais elle ne se couche en attendant la fin. Qu’elle croit toujours aux recommencements. Que nous soyons ici réunis pour parler d’étonnement comme si quelque chose pouvait encore nous étonner. « Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ! » faisait clamer Rimbaud à son bateau ivre – ivre de quoi d’autre, sinon d’étonnement ?

Car il faut écouter les poètes.

C’est Charles Péguy, dans un texte inspiré et superbe, « Le Porche du mystère de la deuxième vertu » qui m’a ouvert la porte quand je réfléchissais à cet oxymore, que je cherchais une porte dans le mur, que je voulais sortir de la fausse impasse dans laquelle on enferme trop souvent la pensée, quand on oublie que l’étonnement – ce miracle – peut nous sauver. C’est chez les poètes, ces visionnaires, parfois fous comme le sont souvent les grands étonnés, parfois sages à leur manière, que l’on trouve des clefs.

Peguy a si justement décrit cette vigilance divine.
Il nous rapporte les sentiments de Dieu devant la manière dont l’Homme assume son existence sur la Terre. Partant des trois vertus théologales prônées par le christianisme, la foi, l’espérance et la charité, que nous partageons d’ailleurs dans le judaïsme, ou inversement, il souligne que foi et charité sont évidentes car ancrées dans le présent, le réel, l’évidence du bon sens. En revanche, l’espérance des hommes en Lui, demeure pour Lui, pour Dieu Lui- même, un mystère, une source d’étonnement.

La Foi est une épouse fidèle, la Charité est une mère. Une mère ardente pleine de cœur. L’Espérance est une petite fille pleine d’avenir et d’allant.

Nous comprenons de ce texte que l’Espérance est fille de confiance en l’avenir, de confiance en Dieu, de confiance en l’Homme et peut être surtout, de confiance en soi. N’est-ce pas ce qui anime Job, alors que tout semble s’écrouler autour de lui ; n’est-ce pas ce qui est moteur chez Tristan Bernard qui disait, au jour de son arrestation «Nous vivions dans la crainte, désormais, nous vivrons dans l’Espérance »? N’est-ce pas ce qui sauve et élève tous les suppliciés du monde et de tous les temps pour qui l’Espérance est le chemin de la Liberté, qui les rend plus vivants que les certitudes les plus éhontément absolues de leurs bourreaux ? L’Espérance permet à l’homme de résister même quand il a tout à perdre, de se lever contre le pouvoir même quand il gagnerait tout à s’asseoir, de parler même quand il lui faudrait se taire. Et de chanter, ou d’écrire, ce qui revient au même pour les poètes.

C’est Péguy qui le dit si bien :

Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne
Moi-même.
Ça c’est étonnant.                                                                                                                                               Que ces pauvres enfants voient comme tout ça se passe                                                                             et qu’ils croient que demain ça ira mieux.
qu’ils voient comme ça se passe aujourd’hui                                                                                                    et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin.
Ça c’est étonnant et c’est bien la plus grande merveille de notre grâce.                                                   Et j’en suis étonné moi-même.

Dieu s’émerveille Lui-même de ce que la grâce divine suscite chez l’Homme, « ce pauvre enfant » : la capacité de penser au lendemain sans crainte, et surtout avec la conviction que ces lendemains « chanteront », en un mot la capacité d’espérer.

C’est bien ce qui fait avancer l’Homme, l’aptitude à se projeter dans l’avenir, à travailler à faire en sorte d’améliorer son destin, à agir pour ce que nous appelons en hébreu tikoun olam, la réparation du monde.
Sans cette capacité, sans cet espoir, sans cet avenir, sans le mystère de l’avenir, que serions- nous ?

« Ton espérance, n’est-ce pas ton intégrité ?» dit Job. (Job, 4,6).

Emile Durkheim, qui à la fin du XIXème siècle a si finement analysé les causes du suicide a décrit le suicide fataliste, celui des individus « dont l’avenir est impitoyablement muré », qui n’ont plus la possibilité d’imaginer la suite, de s’étonner des lendemains.

A cette désespérance, Péguy répond, et tous ceux qui font le choix de la vie avec lui :

Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.
Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout. Cette petite fille espérance.
Immortelle.

Et si notre monde, après avoir réussi à étonner Dieu, parvenait à s’étonner lui-même? Si le génie, comme disait Baudelaire, ce n’était « que l’enfance retrouvée à volonté », cette « curiosité profonde et joyeuse » de ceux qui parviennent encore et toujours à s’étonner ?
Et si Apollinaire, du cœur de l’obscurité du terrible premier conflit mondial, nous offrait dans Le guetteur mélancolique cette fulgurance que Jean-Marc Sauvé m’a fait redécouvrir :

« Jamais les crépuscules ne vaincront les aurores. Etonnons nous des soirs, mais vivons les matins ».

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