Consistoire : une femme candidate à la Présidence, par Sarah Cattan

Présidentielles au Consistoire le 19 juin 2016: pour la première fois en plus de 200 ans d’existence, une femme, Evelyne Gougenheim, modifie l’ordre établi et ose affronter les suffrages d’une assemblée majoritairement  masculine  en se portant candidate à la Présidence du Consistoire Central, s’opposant ainsi au Président sortant Joël Mergui, 58 ans, lui-même candidat à un troisième mandat.

Cette candidature féminine que d’aucuns qualifient de coup de tonnerre à un goût de suspense  et réjouira ceux  qui appellent  de leurs vœux un coup de balai dans le fonctionnement de toute  institution et un renouvellement  de ses dirigeants.

La Présidence de Joël Mergui risque-t-elle de vaciller ?

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En présence, deux profils dont l’un est familier à nos lecteurs. Président du Consistoire de Paris depuis 2006, Joël Mergui avait en effet succédé à Jean Kahn en 2008 puis a été réélu en 2012 à la Présidence du Consistoire Central Israélite de France.

26 conseillers, désignés par le Président , gèrent le Consistoire et seuls ces 26 membres peuvent être candidats à la Présidence.

Les élections intermédiaires furent parfois marquées par de petites guerres internes: certains, comme Moïse Cohen, Président du Consistoire de Paris de 1994 à 2006 ou Dov Zerah en 2010 avaient  dénoncé un fonctionnement qu’ils qualifièrent  d’antidémocratique, et le même Dov Zerah, “inquiet des méthodes de l’équipe en place”, avait obtenu par voie de justice la présence d’un huissier pour contrôler et valider le vote du 29 juin 2015. Gageons que Joël Mergui aura eu à coeur de rétablir la confiance de tous et que les grands électeurs qui vont voter le 19 juin 2016 s’exprimeront au vu de son seul bilan.

Rappelons que le Consistoire Central, soumis à une double autorité, laïque par son  Président et religieuse par le grand rabbin de France, tous deux élus par l’assemblée générale des 300 grands électeurs, gère quelque 400 synagogues et que Joël Mergui préside aussi le Consistoire de Paris.

Le Consistoire Central , sous l’autorité de son Président,  fédère et coordonne l’ensemble des Consistoires régionaux chargés notamment de délivrer  aux rabbins agréés les diplômes du premier degré, d’organiser le culte et le rabbinat, d’entretenir les lieux de culte, les bâtiments communautaires, les cimetières et les mikvaot, s’occupe des mariages comme des divorces religieux, des conversions au judaïsme, et gère aussi l’abattage rituel et la cacherout des produits alimentaires. C’est donc sur ce bilan que Joël Mergui a su se faire réélire et c’est sur ce même bilan qu’il espère convaincre pour la troisième fois.

Mais cette fois-ci, face à lui, une rivale non attendue: Evelyne Gougenheim, qui fut en son temps cooptée par Joël Mergui, fait partie du Conseil et est donc à ce titre une candidate légitime.

Titulaire d’un DESS en relations de travail et du Certificat d’Aptitude à la Profession de Médiateur, cette Directrice des Ressources Humaines d’une grande entreprise est Administrateur élue du Consistoire Israélite de Paris depuis 2009 et Ordonnateur des dépenses de 2013 à 2014.

Elle semble avoir peu à peu pris ses distances avec un Président dont elle dit aujourd’hui désapprouver les méthodes et “autres opérations” : outre l’absence d’évolution notable de l’Institution depuis sa création, elle conteste aussi un projet qui tient à cœur au Président actuel: la construction à Paris d’un nouveau Centre Culturel Juif de 4.800 mètres carrés. Ce projet d’envergure ferait, dit-elle,  double emploi avec un projet déjà signé et financé par de jeunes cadres juifs français qui voulurent investir à Paris pour la Communauté en achetant tout le rez-de-chaussée d’un immeuble en rénovation, soit 1.200 m² livrables en 2018 et qui réuniront synagogue, mikvé, salle de cours, bibliothèque, salle de fêtes pour mariages et bar-mitsva, école maternelle et primaire. Evelyne Gougenheim soutient ce projet qui ne dépendra  pas du Consistoire,  “accusé d’imposer des  ponctions financières jugées trop importantes par les promoteurs”.

Evelyne Gougenheim dit subir des pressions internes et cite, à titre d’exemple, les listes incomplètes, tronquées et parfois obsolètes qui lui auraient été remises, l’empêchant de contacter individuellement les 300 électeurs issus des Consistoires régionaux. Ce qu’elle qualifie de  verrouillage ne l’a pas découragée, et cette femme armée de convictions solides et d’un caractère bien forgé se lance néanmoins dans un combat doublement inégal : elle est femme et de surcroît devra convaincre des électeurs conservateurs satisfaits de l’ordre établi et du bilan du Président sortant.

Voilà une candidature qui paraît farfelue à beaucoup et qui laisse sceptiques en interne, où le Président compte de solides soutiens.

Et c’est sans parler de certains orthodoxes, qui allèrent  jusqu’à dire que l’élection d’une femme à la tête de l’institution religieuse n’était pas conforme à la loi juive, la halakha : alors même que sa candidature était validée par la commission électorale, quatre juges rabbiniques la contestèrent en effet lors d’une réunion du conseil du Consistoire le 10 mai, prétextant qu’il était impossible qu’une femme soit présidente du Consistoire : Tout d’un coup, on s’est retrouvé devant un Consistoire qui ne se référait plus à la loi française, mais à la halakha, déplora  la candidate. Haïm Korsia, lui, ne se déroba pas, rappelant sur I24 News  que les statuts du Consistoire autorisaient la candidature d’une femme.

Évelyne Gougenheim reconnaît que ses chances d’accéder à la Présidence du Consistoire Central sont minimes.  Elle espère toutefois contribuer à soulever la chape de plomb qui pèse, “selon elle”, sur l’actuelle gouvernance. Elle est soutenue sur les réseaux sociaux, et pas uniquement par des femmes:

La femme dans toutes les religions est admirable, magnifique, mère, sainte, servante, car serveuse, etc. À condition qu’elle ne se mêle pas de nos affaires religieuses comportant un… Brin de pouvoir !

C’est drôle de voir cela dans ce cadre. Mais faut être lucide, le machisme est vraiment partout. Intérêt à serrer les coudes les filles.
 
Entre les harcelées, les voilées, les non éligibles, nous sommes au 21ème siècle !
 
Une femme ? Dans ces cercles, c’est comme si un martien avait posé sa candidature. Mieux vaut en rire. Bravo à cette femme qui ose faire éclater les archaïsmes indignes de pays dits civilisés. C’est stupéfiant ! Il ne s’agit même pas de célébrer une messe, ce qui déjà devrait sans question être ouvert aux femmes mais juste présider un organe de gouvernance ! Décidément ces religions sont d’un sexisme qui dépasse tout autre ostracisme.

Je pense comme beaucoup  qu’il serait bon que le Consistoire ressemble à son époque et envisage la possibilité d’une gouvernance féminine. Joël Mergui ne promet-il pas lui-même une telle ouverture lorsqu’il dit : Le Consistoire va continuer de se moderniser […] Le monde bouge et nous ne pouvons pas rester immobiles à le regarder évoluer sans nous. Pour ne pas être dépassés, il est essentiel que nous travaillions de façon commune et transversale. 

Chiche Monsieur le Président ? L’alternance ? Une femme un jour ?

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Si elle était élue, Evelyne Gougenheim promet de “normaliser” la situation au sein du Consistoire : La première partie de mon programme porte sur la gouvernance, la transparence de l’institution et l’exercice d’une réelle démocratie.

De façon plus concrète, elle pense que du fait même qu’elle est une femme, elle interviendra moins dans les domaines religieux, ce qui aura l’avantage de rééquilibrer la parole du Grand Rabbin de France et des Rabbins en général avec celle des laïcs au sein du Consistoire.

Concernant les situations parfois difficiles comme le guet ou les conversions d’enfant dont seul le père est Juif, la candidate répond qu’elle entend dans un premier temps “étudier ce qui se fait, établir un état des lieux, et en tirer ce qui pourrait devenir un minimum de position commune”: le Consistoire sous l’égide du grand rabbinat proposerait  une médiation pour régler les problèmes de guet non délivrés : et si les Rabbins n’arrivent pas à concilier avec les parties, il devrait peut-être exister un délai maximal à partir duquel on considère que l’on est dans une situation de blocage. Aujourd’hui on ne sait pas à quel moment on peut considérer qu’il existe un problème pour la délivrance du guet. Il serait constructif de déterminer un délai raisonnable après le divorce civil pour que le guet soit donné et considérer qu’au delà de ce délai il y a un problème.

Avant toutes choses, elle entend revenir sur le vote de la résolution à l’Unesco, qu’elle qualifie de négationnisme religieux et historique : Cela relève de la même négation que la Shoah. Cette résolution a profondément heurté la communauté juive qui n’a pas compris ce silence ou ces réactions timides et tardives.

Le changement au Consistoire Central aura-t-il lieu ? L’élection d’une femme à sa tête serait la preuve éclatante de l’audacieuse modernité des votants et de leur indépendance retrouvée. Pour ma part, je soutiens Evelyne Gougenheim,  parce qu’elle ose, courageuse, forte et inébranlable dans ses convictions, droite et étrangère à toute idée de compromission de quelque nature que ce soit, et je souhaite une Bonne campagne aux deux candidats. Que le meilleur gagne.

Sarah Cattan

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17 Comments

  1. je ne connais pas du tout l’importance de cette institution qu’est le Consistoire, et de son rôle, mais il faut reconnaître comme dans tous les domaines, et ceux de la politique en particulier, qu’il faut renouveler à un moment donné, les responsables en place depuis des années, dits “inamovibles”, afin de redonner du sang neuf à ces institutions quelle qu’elle soit !
    c’est vrai que dans ce domaine précis de la religion, une Femme, déjà, est maintenant Rabbin ! Alors une Présidente au Consistoire, pourquoi pas ? et même Tant Mieux.
    Alors Bon courage Mme Gougenheim, et avec toute l’amitié que je vous adresse, car je crois, comme un certain poète et un célèbre chanteur, que la Femme est l’avenir ….du Monde.

      • Je ne sais pas si ça change. C’est juste qu’on n’a pas essayé . Alors après tout on pourrait voir à l’usage.
        Une femme: c’est déjà juste comme ” un autre président”.
        Et forcément quelque chose d’un peu “différent” .
        À mon sens c’est à expérimenter.
        Envisageons-la déjà comme “une” alternative. 8 ans c’est bien. Je trouve saine l’alternance.
        À valider.

      • ça change quoi ? dites vous,
        La parité ça vous dit quelque chose ?et bien plus important,La petite fille, la femme cantonnée depuis des millénaires à la cuisine, à la reproduction,…alors sortons de ce carcan , faites en des responsables d’entreprises, des dirigeantes, des Présidentes, des pilotes , des soldates, …La vie n’irait pas plus mal.
        juste, encore, une remarque faite par une écrivaine : il n’y a jamais eu au Bac littéraire, depuis son existence , de sujet portant sur des textes écrits par des Femmes ….et pourtant il y en a eu ! des trés célèbres, et il y en aura Encore…

        • On peut essayer de sortir du carcan, comme vous dites. Et les femmes vous applaudiront!
          Les hommes peuvent très bien faire la cuisine, le ménage, le lit. Mais la reproduction, comme vous dites, si elles s’arrêtent, c’est l’homme qui disparaît.
          D’ailleurs, elle n’ont pas attendu que vous leur donniez le pouvoir. Elles l’ont pris depuis des lustres. Vous ne le voyez pas, car c’est camouflé par leur discrétion.
          Un peu de modestie!

  2. Belles envolées lyriques 🙂
    Femme courageuse, qui ose, sang neuf, etc….
    OK, effectivement, on peut s’emballer.

    Nonobstant, connaissez-vous seulement la personne, et avez vous échangé avec elle lors d’une conversation?

    Je pose la question 🙂

    • Oui je l’ai rencontrée. Je ne suis pas de ses intimes mais je sais très bien qui elle est. Être une femme n’aurait pas été une raison suffisante pour parler d’elle. Certes je mets en exergue cette … Particularité dans ce monde masculin Mais je vous assure que ce n’aurait pas été “suffisant”:
      À vous. Vous semblez sous-entendre. Dites-nous. Car être une femme ne doit surtout pas être un plus. Mais en aucun cas un moins.
      En convenez-vous?

      • Je ne sous-entends rien. Le fait d’être une femme m’est absolument indifférent. Homme ou femme, peu importe, en ce qui me concerne.
        Cependant, ne vous emballez pas ni les uns , ni les autres sur le fait qu’une femme ait le “courage” de se présenter à la présidence du Consistoire.
        C’est un poste lourd en terme des responsabilité et de représentativité de la communauté juive (le Consistoire a été créé par Napoléon il y a plus de deux cents ans), et ce n’est pas du tout un poste symbolique.
        La personne dont nous parlons aimablement n’est pas du tout qualifiée. Je la connais. Je l’ai vue à plusieurs reprises lors des AG du Consistoire Central.
        Candidature qui pollue plus le paysage qu’elle ne l’améliore.
        Donc, conclusion, c’est (pour moi) un non-évènement.
        Et désolé d’être direct, je n’ai pas l’ambition de devenir un jour politiquement correct 🙂

        • Vous me permettrez d’insister sur le fait que c’est tout sauf un non-evenement. Pas parce qu’il s’agit d’une femme . Il n’y avait aucun candidat face au Président actuel. Pourquoi.
          Cette femme a des fonctions importantes au sein du Consistoire. On les lui a confiées au vu de ses compétences j’imagine . Et pas parce qu’elle est une femme?
          Sur le fait que cette fonction soit lourde de responsabilités, je vous suis absolument . Cela n’écarte pas une femme tout de même ? Pas en 2016?

          • Concernant la personne dont nous parlons, je persiste à dire que c’est un non-évènement. Je le répète, je pense fermement que les compétences ou qualités particulières ne sont pas au rendez-vous. A chacun de nos échanges, entendre sans cesse cette personne déblatérer sur le président actuel sans jamais proposer de débat positif me laisse dubitatif quant à la crédibilité de cette candidate.
            Et je gage que beaucoup de suffrages qu’elle pourra éventuellement recueillir se porteront plus sur un vote anti-Mergui que pour sa propre personne.
            Très honnêtement, connaissant le Central, je pense que sa candidature fera Pschitt.
            Mais par honnêteté intellectuelle (mais toujours pas politiquement correct), j’admets que le fait d’être une femme n’est pas un atout: la résistance au changement est très forte, et nous ne sommes pas dans le bon sens…..

  3. Homme ou femme n’est pas la question. C’est les qualités qui priment, et les femmes n’en sont pas dénuées.
    Par contre, c’est son fonctionnement qui m’interpelle quand un consistoire provincial réfute la cacheroute d’une viande agréé par le consistoire de Paris, achetée par un traiteur pour un banquet.
    C’est question de cacheroute ou d’intérêt financier?

    • Vous n’êtes pas le seul à être interpelé par ces dysfonctionnements qui semblent nombreux. Il est très difficile d’obtenir des réponses rationnelles, et même de simples réponses. Le fonctionnement paraît opaque et je gage que le prochain Président , que ce soit Mergui ou Gougenheim, devra jouer la transparence. Des questions sont posées.

  4. extrait d’un article dans Le Monde: «La candidature d‘une femme à un poste exécutif si élevé est une innovation forte, alors qu’on trouve déjà des femmes à des postes de responsabilité dans des communautés locales ou parmi les administrateurs, analyse la sociologue Martine Cohen, du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL). L’enjeu aujourd‘hui, c’est donc la capacité du Consistoire central et d’une partie du rabbinat consistorial à accepter une telle évolution. Il y a des blocages psychologiques de la part d’un camp conservateur, ce qui ne correspond probablement pas à la majorité des fidèles consistoriaux.»

  5. Aujourd’hui sur les réseaux sociaux comme ils sont nombreux à prétendre regretter de n’avoir pas eu accès aux infos et au programme d’Evelyne Gougenheim . Lui, Mergui, a refusé toute interview et tout débat avec elle. Seule interview accordée : la veille au soir. Discrètement . Vite fait. Mal fait.
    Ca a fonctionné mais ça ne pourra fonctionner encore.

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