Chardonne, un autre auteur collaborationniste pour les commémorations 2018

Après la décision du ministère de la Culture de retirer Charles Maurras du livre des commémorations nationales, la présence de Jacques Chardonne dans cette liste pose désormais question.

Il y a quelques jours encore, il figurait dans le recueil des commémorations nationales 2018. Ce lundi, Charles Maurras, décédé il y a 150 ans, avait disparu de la liste consultable sur France Archives. Face à la polémique, la ministre de la Culture François Nyssen a demandé la réimpression du livre des commémorations nationales « après retrait de la référence » au chantre de « l’antisémitisme d’Etat ».

Voyant « que la commémoration peut être vécue comme un appel à célébrer ensemble au nom de la nation », la ministre a choisi de « lever cette ambiguïté », comme elle l’a fait savoir dans un communiqué. Compte tenu de cette décision de Françoise Nyssen, un autre nom, toujours présent dans le livre des commémorations nationales, interpelle : celui de l’écrivain Jacques Chardonne, décédé en 1968.

« On peut discuter de l’œuvre littéraire de Jacques Chardonne et de son intérêt aujourd’hui. Mais fondamentalement, il représente le symbole de l’écrivain qui a prôné la collaboration avec les Allemands, explique l’historien Nicolas Offenstadt, maître de conférences à l’Université de Paris-I, auteur de « L’Histoire, un combat au présent » (Textuel). « Il a défendu la collaboration avec les nazis de manière extrêmement claire et nette. Comment commémorer ce type d’attitude qui n’est pas séparable de l’ensemble du personnage ? »

Pétain « est toute la France »

De son vrai nom Jacques Boutelleau, Jacques Chardonne, né en 1884, n’est pas seulement l’auteur de romans comme « Les Destinées sentimentales » ou « Le Bonheur de Barbezieux ». Quand l’armistice est signé le 22 juin 1940, cela fait bientôt vingt ans qu’il est à la tête de la maison d’édition Stock.

Trois semaines après « l’étrange défaite », ce germanophile écrit à son ami écrivain Jean Paulhan, qui s’engagera lui assez tôt sur le chemin de la résistance (disparu il y a 50 ans, il figure d’ailleurs lui aussi dans le livre des commémorations nationales). Chardonne lui fait part de son enthousiasme pour le régime de Vichy et Pétain. « Vraiment, tout cela me semble beau », ajoute-t-il.

Quelques mois après, en novembre 1940, Jacques Chardonne partage de nouveau avec Jean Paulhan son admiration pour le maréchal Pétain : « Je le trouve sublime. Il est toute la France », affirme-t-il. « Je vomis les Juifs, Benda (auteur juif du roman « La Trahison des clercs », ndlr) et les Anglais et la Révolution française. »

Deux voyages en Allemagne

En décembre 1940, Chardonne figure au sommaire du premier numéro de La Nouvelle Revue française publié après avoir obtenu l’autorisation de reparaître. Dans cette NRF aux forts accents collaborationnistes et dirigée par Pierre Drieu la Rochelle, l’auteur signe « L’Eté à la Maurie », texte dans lequel il décrit les premiers jours d’une occupation « correcte, douce, très douce » en Charente. « La censure elle-même me sera bonne. Nous ne voulons pas être nazis, et personne, je crois, n’attend cela de nous. Mais je peux comprendre leur leçon. Derrière cette force matérielle, il y a des forces morales très grandes », écrit encore Chardonne.

En octobre 1941, il compte parmi les sept écrivains français invités au « Congrès européen des écrivains » organisé à Weimar. Drieu La Rochelle est du voyage en Allemagne, tout comme Robert Brasillach. Chardonne acceptera une nouvelle fois de faire le déplacement l’année suivante.

Grâce à l’intervention de Gerhard Heller, chargé de la censure des oeuvres littéraires à Paris, Chardonne parvient à faire libérer son Gérard, son fils unique résistant interné depuis six mois au camp d’Oranienburg-Sachsenhausen. Arrêté en 1944 à Jarnac puis brièvement emprisonné, Jacques Chardonne voit ses oeuvres interdites. Il bénéficiera au final d’un non-lieu en 1946 grâce notamment au témoignage de Jean Paulhan, opposé à toute « épuration ».

Une liste « méritant d’être interrogée »

Comme cela a été le cas pour Charles Maurras, faut-il dès lors retirer Jacques Chardonne du livre des commémorations nationales ? « Oui », estime Nicolas Offesntadt. « Retirer ou ne pas retirer, c’est important, mais ce n’est pas non plus le fond du problème », nuance-t-il. Pour l’historien, « cette liste qui est un ensemble extrêmement hétéroclite et hétérogène, mérite d’être interrogée un peu plus profondément que par rapport au cas de Jacques Chardonne ».

A ses yeux, « il faudrait établir les listes avec plus de discernement » et « reprendre cette question des commémorations nationales en réfléchissant exactement à ce que l’on veut lui faire dire ». « Il faudrait aussi que les choses soient plus claires par rapport aux enjeux, en expliquant mieux ce que veut dire ici commémorer : c’est la mise en scène de valeurs, d’un rapport au passé. Tout ne se vaut pas et il ne suffit pas d’aligner des dates et des personnages », résume Nicolas Offenstadt.

Dans son communiqué de dimanche, Françoise Nyssen a ainsi indiqué vouloir recevoir « très prochainement » les membres du Haut-comité qui a rédigé le recueil « afin de questionner, ensemble, la pertinence de cette démarche mémorielle conduite au nom de l’État par des experts ». Reste à savoir ce que la rue de Valois compte faire dans le cas de Jacques Chardonne. Contacté par Le Parisien, le ministère de la Culture indique qu’elle n’a pas, pour l’instant, d’informations supplémentaires à délivrer sur le sujet des commémorations nationales.

Source leparisien

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