Amsterdam février 1941 : Un acte de résistance massive contre la persécution des Juifs

La place était noire de monde. Tous emmitouflés, car malgré le joli soleil d’hiver, il faisait un froid de canard. Néanmoins, on se pressait autour du fier docker qui, depuis des décennies à cet endroit, semble défier le monde entier. Ce qu’on commémorait ce jeudi 25 février ? Ceci: l’unique acte de résistance massive et ouverte qu’il y ait jamais eu contre la persécution des Juifs : la grande grève des 25 et 26 février 1941, il y a 75 ans à Amsterdam.

La commémoration de la Grève de Février. 25 février 2016, Photo Hans Mooren.
La commémoration de la Grève de Février. 25 février 2016, Photo Hans Mooren.

En fait, à la place du ‘docker’ qui représente ici la résolution du peuple, le sculpteur (Mari Andriessen) aurait pu mettre un éboueur. Ou un machiniste de tramway. Ou un cantonnier.

Une des affiches invitant à participer à la commémoration de 2016.
Une des affiches invitant à participer à la commémoration de 2016.

Les éboueurs d’Amsterdam étaient les premiers à se mettre en grève, suivis par les transport publics et les docks. De là, le mouvement s’est étendu fort rapidement, vers les fonctionnaires et les travailleurs des entreprises, publiques et privées. A Amsterdam même, puis vers les alentours et au-delà. Une véritable boule de neige. Décidée par quelques individus, principalement des communistes (mais en rien soutenus par la hiérarchie, bien qu’elle ait essayé de récupérer le mouvement après coup). Grâce à une vieille machine à écrire et une ronéo, ils avaient fabriqué un tract qu’ils distribuaient ça et là. Mais c’est surtout en essaimant à travers la ville que les grévistes de la première heure ont répandu le mouvement, à pied ou en vélo. Le mot d’ordre s’est donné de bouche-à-oreille, ou de la main à la main : ‘Grève ! Grève ! Grève !’ disaient les tracts. Et les gens faisaient grève, distribuant le mot d’ordre à leur tour. ‘Les Boches déportent les Juifs ! On fait grève !’ Les travailleurs ont suivi, dans leur immense majorité. Jusqu’à la répression sanglante, qui, le premier moment de surprise passé, n’a pas tardé.

Des bagarres partout

Mais retournons quelques semaines en arrière. Au cours de ces premières semaines de 1941, il y avait constamment des bagarres dans la ville, à l’instigation des milices pro-nazis, qui s’en prenaient à la population juive. Ils essayaient de créer du désordre et de semer la discorde en se servant de différents prétextes, comme celui de renforcer l’ordre d’interdire aux Juifs l’accès aux cafés et restaurants (ordre auquel bon nombre de propriétaires refusaient de se soumettre, d’ailleurs). En réponse, des groupes de jeunes Juifs avaient formé des commandos de défense. Vers la mi-février, un groupe de miliciens a pénétré dans le Quartier Juif et au cours de la bagarre qui s’ensuivit, un milicien fut blessé mortellement. Les Allemands, du coup, fermèrent le Quartier Juif pour 24 heures – impossible de maintenir la fermeture plus longtemps, ne serait-ce que parce que le quartier n’avait pas que des habitants juifs.

Le 21 février au soir eut lieu une descente de l’Ordnungspolizei au salon de thé-glacier nommé Koco, du nom des propriétaires Ernst Cahn et Alfred Kohn, réfugiés juifs d’origine allemande. Comme l’endroit avait déjà été l’objet d’attaques, il était protégé par un des commandos de défense, qui – faute d’avoir autre chose à la main – accueillait les policiers à coups de…gaz de gazogène, qui normalement servait à fabriquer de l’eau de Seltz. Il semblerait que Klaus Barbie, futur chef de la SS à Lyon, ait participé à cette descente. (Pour plus de détails, cliquer ici.)

Pour se venger de cet accueil, les Allemands organisèrent une grande rafle au Quartier Juif. 420 jeunes Juifs furent pris au hasard et déportés à Mauthausen, dont aucun ne revint.

Deux jours plus tard, cinq hommes, dont un cantonnier et un éboueur, ont pris la décision de lancer cette grande grève – ce que certains d’entre eux ont dû payer de leur vie. Le 26 février, voyant que la grève ne faisait que s’étendre, les Allemands ont tiré dans la foule et même lancé des grenades. Il y eut 9 morts et 45 blessés. La grève était finie.

« Deux âmes…»

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Depuis 1946 (Amsterdam n’était libérée qu’en mai 1945), on la commémore tous les ans, sur cette grande place, entre deux synagogues, d’où furent jadis déportés « les 427 ». C’est à cause de la grève que la reine Wilhelmine accorda à la ville l’épithète « héroïque – résolu – charitable » – bien que les actes, tant de la population que de la municipalité n’aient pas toujours été héroïques ni charitables au cours des années qui ont suivi. D’une part la police municipale, dans son ensemble et tout comme la police parisienne, a collaboré avec les occupants et elle a notamment facilité les déportations. Il en est de même des transports publics, qui de surcroît faisaient payer les victimes… Récemment, on a découvert que la municipalité, non contente de déplacer la population juive vers certains quartiers (d’où il serait plus facile, plus tard, de la déporter), augmentaient les loyers des habitations sociales, sous prétexte que cela correspondait aux revenus des nouveaux habitants. De plus, après la Libération, les rares Juifs qui avaient survécu aux camps ne furent pas exactement accueillis chaleureusement, loin s’en faut. Et plus tard, on leur a extorqué de l’argent pour « loyer impayés » ou « impôts impayés”.

C’est pourquoi, lors de la 75e commémoration, à laquelle assistait le roi Willem Alexandre, le bourgmestre d’Amsterdam a parlé des « deux âmes » de sa ville. En précisant que tout en honorant la mémoire de ceux qui avaient pris la défense de leurs concitoyens juifs, on ne devait pas ignorer le mal qui avait été fait également, en particulier à l’égard de ces mêmes concitoyens.

Source : http://jacqwess.blog.lemonde.fr/2016/02/26/un-acte-de-resistance-massive/

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