Une comédie musicale ravive les tensions entre les communautés juive et noire

Une comédie musicale ravive les tensions entre les communautés juive et noire, a propos de la célèbre affaire Leo Frank, qui semble toujours brûlante.

L’Affaire Leo Frank, vieille maintenant de plus d’un siècle,, ne semblait pas être un sujet évident pour une comédie musicale. Et pourtant, dans « Parade », Alfred Uhry, l’auteur – Prix Pulitzer -, et Jason Robert Brown, le compositeur, racontent l’histoire du Juif de New-York, accusé du meurtre de Mary Phagan , une jeune ouvrière de l’usine de crayons d’Atlanta dont il était le patron.

Après que le Gouverneur de Georgie eut commué la peine de mort à laquelle il avait été condamné, Leo Frank fut lynché par la foule d’Atlanta déchainée. La conséquence en fut, à la fois,  la résurgence du Ku Klux Klan, et la prise de conscience de la communauté juive dont on avait assassiné l’un des siens.

La complexité de cette affaire réside dans le fait que la décision du jury repose entièrement sur le témoignage de Jim Conley, le gardien noir de l’usine, qui était la seule autre personne présente dans l’usine le jour du meurtre. Les Juifs de New-York et de Chicago intervinrent alors à Atlanta, afin de prouver l’innocence de Frank. En d’autres termes, le meurtrier ne pouvait être que le Juif ou le Noir..

Lorsque « Parade » fut de nouveau programmé au « Writers Theatre «  de Glencoe, une ville de la banlieue nord de Chicago, le 24 mai 2017, l’organisation « Nation of Islam » envoya une série  de mails  à de nombreux journalistes – dont moi-même – arguant que le spectacle était de la propagande anti-noire. Et suggérant qu’on se réfère à son propre livre sur l’Affaire, « Les relations secrètes entre Noirs et Juifs, volume trois : l’Affaire Leo Frank, le lynchage d’un homme COUPABLE !

Lorsque je mis en rapport avec « Nation of Islam » demandant  d’en savoir plus sur leurs arguments, personne n’a semblé connaître les auteurs des mails. Le Directeur du théâtre dit qu’il n’avait pas entendu parler de « Nation of Islam », et qu’à sa connaissance, aucune action n’avait été envisagée. Ma curiosité n’était pas satisfaite. Pourquoi l’innocence de Leo Frank était-elle remise en question, un siècle plus tard ? Aussi, je contactai  deux personnalités qui avaient étudié l’affaire  en profondeurs.

Le premier est JEFFREY MELNICK, professeur à l’Université de Massassuchets–Boston ; l’auteur de « Les relations entre Noirs et Juifs : Leo Frank et Jim Conley »

L’autre , STEVE ONEY, un journaliste dont le livre « And the Dead shall rise – Le meurtre de Mary Phagan et le lynchage de Leo Frank », est considéré comme la référence historique sur l’Affaire.

 

Jeffrey Melnick

Ma position sur cette affaire est assez étrange. Je suis plutôt d’accord avec ce que « Nation of Islam » a à dire à propos des Juifs du monde du spectacle et de leur intérêt pour l’Affaire Leo Frank. A propos de UHRY et de son œuvre la plus célèbre, « Driving Miss Daisy » (Miss Daisy et son chauffeur). Il s’agit d’une histoire d’amour entre un serviteur noir et son employeur, une vieille dam juive. Uhry a une vision romantique et nostalgique de l’histoire du Sud américain. Il dit que les Juifs et les Noirs ont toujours eu une histoire parallèle.  Cette histoire n’est pas défendable. Comme Juif américain élevé dans l’idée de victimisation et de vulnérabilité, je reconnais que ces histoires provoquent la sympathie. L’Affaire Frank est une énigme à somme nulle. Si Frank ne l’a pas fait, alors c’est un Noir qui l’a fait.

En définitive, « Nation of Islam » ne se soucie pas de savoir si c’est  Frank ou Conley  qui a commis le crime. Ce qu’ils affirment, c’est que vous devez savoir de quel côté vous vous trouvez. Lorsqu’il faut se décider, les Juifs placent leur origine ethnique au dessus de leur idée de la justice. « Nation of Islam » dit : « Dans une affaire où un Juif est opposé à un Noir, regardez comment les Juifs agissent. Considérez cela comme un récit édifiant. » Mais « Nation of Islam » nous emmène dans des endroits où un historien ne peut pas aller.

Steve Oney

Leo Frank fut accusé et condamné à mort. Le verdict fut confirmé par la Cour Suprême. Le gouverneur de Géorgie commua la peine de mort. Depuis des décennies, le poids de l’histoire a confirmé l’opinion du Gouverneur sur l’innocence probable de Frank ; et sur la culpabilité de Jim Conley.

Jim Conley avait un passé d’agressions contre des femmes, avant et après le meurtre de Mary Phagan. Il fut accusé comme co-auteur de crime ; il subit une peine d’un an dans une ferme prison. Dès sa remise en liberté, il fut  arrêté plusieurs fois pour voies de fait et violences contre des femmes. Son comportement peut le faire soupçonner du meurtre de Mary Phagan. De même, son physique athlétique joue en sa défaveur, alors que Leo Frank était plutôt chétif. Il réussit à convaincre le jury, composé d’hommes blancs, qu’un blanc – son patron –  était le meurtrier. D’autres pensent que, compte tenu du racisme ambiant de l’époque, Conley avait tout intérêt à dire la vérité. Argument on ne peut  plus byzantin. Ce que je vous dis est basé sur une longue expérience et une recherche approfondie.

L’Affaire Frank est composée d’un grand nombre d’éléments : religieux, raciaux, sexuels, sociaux. Mary Phagan était une enfant ouvrière,  exploitée, travaillant pour quelques sous, dans un « sweatshop » (littéralement : atelier de la sueur) . Frank était un industriel, capitaiste oppresseur.  Conley était le témoin noir vivant dans le Sud cruel envers les Noirs. Frank, le Juif, exacerbait un antisémitisme qu’il ne soupçonnait même pas.

La communauté juive n’a pas exonéré Frank sur la base de sa judéitél. Il y eut des débats tendus entre l’Anti Defamation League  (ADL), et l’American Jewish Committee, au sujet de l’attitude à tenir. Adolphe OCHS, du New-York Times envoya un reporter à Atlanta, dans le but se faire une opinion. Cela attisa la colère de ceux qui croyaient à la culpabilité de Frank. Les sudistes  reprochaient aux Nordistes de se mêler d’une affaire qui ne les concernait pas.

« Parade »  est une oeuvre dramatique. C’est un spectacle. Ce n’est pas l’Histoire. C‘est un spectacle basé sur des faits. Je ne crois qu’Alfred Uhry  nous impose « sa » vérité. C’est une vérité, telle qu’il la ressent, telle qu’il l’a dramatisée.

Je n’ai pas lu le livre publié par « Nation of Islam » Lorsque j’ai écrit mon livre, je pensais découvrir la vérité. Je suis un peu énervé par ceux qui veulent m’imposer leur point de vue. Je suis bien plus concerné par la réponse à une question simple et bien plus difficile : « Que s’est-il passé ? » Tous ces gens se calmeraient si on pouvait répondre à cette question : « Que s’est-il passé ? »

Un article du « Forward » d’Aimee Levitt

Traduction adaptation de Victor Kuperminc

  • Auteur de « L’Affaire Leo Frank – Dreyfus en Amérique »
  • Préface d’André Kaspi – L’Harmattan 2008

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