À la ‘fête à Macron’, un slogan antisémite sous les oripeaux antisionistes

Lors de la manifestation, on a pu apercevoir une pancarte proclamant : « Mac Aaron, Sioniste, Escroc ». Sur Twitter, les dénonciations du caractère antisémite de ce slogan ont fait l’objet de dénégations reposant sur un même énoncé : « L’antisionisme n’est pas l’antisémitisme ». Une minimisation du discours essentialiste mortifère, selon la philosophe Marylin Maeso.

On a beaucoup parlé d’antisémitisme dernièrement. La réalité tenace, polymorphe et meurtrière de cette haine me laisse penser qu’il en sera encore beaucoup question à l’avenir. Mais on en parle mal : là est l’embarras. Non que tout soit faux, dans la valse des tribunes et contre-tribunes qui se succèdent à un rythme soutenu depuis plus de deux semaines – au milieu des maladresses et des jugements obscurcis par une juste colère, des vérités se font jour de toutes parts. Mais on se parle sans s’écouter, et il est des malentendus plus coûteux que les silences.

Parmi ce tintamarre polémique tissé de concurrence victimaire, de procès en islamophobie ou en islamo-gauchisme, d’imprécations et de dénis, l’absence de dialogue plane comme un oiseau de mauvais augure. Il semble déjà si loin, le souvenir de la marche blanche organisée à la mémoire de Mireille Knoll qui nous avait unis contre ce fléau. Dès lors qu’un combat ô combien nécessaire nous fédère autant quand il s’incarne tacitement dans un rassemblement citoyen qu’il nous déchire lorsqu’il se fait verbe, on ne peut que partager le diagnostic énoncé par Tarrou dans La Peste de Camus : « j’ai compris que tout le malheur des hommes venait de ce qu’ils ne tenaient pas un langage clair ».

Ambiguïté sémantique

Notre société est profondément divisée sur les questions touchant l’antiracisme, c’est indéniable et il faudra du temps et un peu de bonne volonté pour espérer dépasser les clivages idéologiques et les querelles militantes. Mais puisqu’il faut bien commencer quelque part, je ne crois pas inutile de dire que la haine est d’autant plus dangereuse qu’elle avance masquée. Il a beaucoup été reproché aux théoriciens du « nouvel antisémitisme » de négliger la permanence d’un vieil antisémitisme d’extrême droite, et je ne peux qu’insister, à mon tour, sur la nécessité de demeurer attentifs à ce dernier, ne serait-ce qu’en raison de la formidable caisse de résonnance que les réseaux sociaux lui offrent aujourd’hui pour distiller abondamment son venin. Mais il me paraît tout aussi évident qu’en un sens, celui qui colporte cette peste en habit de sainteté est autrement plus délétère que celui qui hurle « sale youpin ! » à pleins poumons. Je veux parler ici d’une stratégie de diffusion insidieuse de l’antisémitisme par l’exploitation de l’ambiguïté sémantique d’« antisionisme », un mot qui se prête à toutes les instrumentalisations. Je veux parler de ceux qui, au vu et au su d’un nombre croissant d’entre nous, utilisent la juste défense des droits du peuple palestinien comme un alibi pour exprimer sournoisement une détestation qui n’ose pas dire son nom.

Lors de la manifestation du 5 mai dernier, baptisée « Fête à Macron », on a pu apercevoir, au milieu de la foule, une pancarte proclamant : « MACAARON SIONISTE ESCROC ». Sur Twitter, les dénonciations du caractère antisémite de ce message ont fait l’objet d’un nombre considérable de dénégations reposant toutes sur un même énoncé : « L’antisionisme n’est pas l’antisémitisme ». Plus qu’un dogme, il s’agit là d’un slogan, c’est-à-dire une proposition dont la force repose sur la propension de ceux qui s’en saisissent à la marteler jusqu’à ce qu’elle se sédimente dans les esprits au point d’apparaître comme une évidence et de se soustraire aux interrogations. Le slogan est la mort de la pensée en ce qu’il consacre la substitution de l’automatisme à l’analyse et du réflexe à la réflexion, suivant un mécanisme magistralement élucidé par Hannah Arendt dans Responsabilité et jugement qui consiste à « appliquer des catégories et des formules qui sont profondément implantées dans notre esprit, mais dont les fondements dans l’expérience sont oubliés et dont la plausibilité réside dans leur cohérence intellectuelle plutôt que dans leur adéquation aux évènements réels ».

Le vieux cliché du complot juif mondial

Lorsque le président Macron avait déclaré, le 16 juillet 2017, à l’occasion de la commémoration des 75 ans de la rafle du Vel d’Hiv, « Nous ne céderons rien à l’antisionisme car il est la forme réinventée de l’antisémitisme », j’avais souligné que cette phrase, par sa généralité, ne voulait rien dire, puisque le terme « antisionisme » est d’une incroyable polysémie, nourrie par des décennies d’histoire mouvementées, et que, dans la mesure où il sert désormais à désigner un panel d’attitudes diverses allant de l’opposition à la politique d’expansion israélienne à la volonté d’anéantir l’État d’Israël, on ne pouvait juger qu’en contexte et au cas par cas de la nature raciste ou non d’un propos se définissant comme antisioniste. Et pour les mêmes raisons, je ne peux que m’inquiéter de la rapidité avec laquelle tant de personnes décrètent sans réfléchir qu’on peut laver a priori un discours de tout soupçon d’antisémitisme dès lors qu’il se présente lui-même comme antisioniste, oubliant un peu vite que ce mot sert depuis longtemps de paravent à l’extrême droite pour dissimuler un antisémitisme flagrant.

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Marylin Maeso

Professeure de philosophie en lycée. Dernier ouvrage paru : « Les Conspirateurs du silence » (éd. L’Observatoire)

Source nouveau-magazine-litteraire

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1 Comment

  1. Peu de brebis, ici, ont la chance d’être encore lycéens, un léger souffle de simplicité serait agréable. L’Université de Tel Aviv et l’Université Hébraïque de Jérusalem offrent de nombreux professeurs remarquables. Il n’est pas utile de sortir un gros lieu commun du placard à balais antiques pour lutter contre l’antisémitisme. Ou bien, s’agit-il du triangle de l’idiotie contemporaine: Arendt-Ricoeur-Macron?

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