“Autisme génétique ou mimétique” ? Par Olivia Cattan

Des enfants autistes assistent à un cours dispensé par une enseignante spécialisée au Collège du Parc à Aulnay-sous-Bois.
© Christophe Archambault / AFP

A force de vivre l’autisme au quotidien avec des enfants, les parents développent-ils une sorte “d’autisme mimétique”?

Ma réflexion a commencé avec la question surprenante de ce psychiatre qui faisait une réévaluation de mon fils dont l’autisme a été détecté à l’âge de 4 ans et demi. Êtes-vous sûre de ne pas être autiste, avez-vous déjà fait des tests ? Je me suis mise à rire de façon gênée, et je lui ai répondu que mon fils et mon frère l’étaient. Puis, je me suis ravisée en lui répondant que j’y réfléchirai, et en ai discuté avec d’autres parents.

Certains parents m’ont expliqué qu’ils ont été diagnostiqués « autistes » à 40 ou à 50 ans, des années après, après avoir découvert l’autisme de leurs enfants. Ce diagnostic tardif venait éclairer des années d’incompréhension entre eux et leur entourage, et l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes. Cela expliquait enfin leur enfance isolée, leur problème de communication, leurs obsessions à tout vouloir savoir sur le métro parisien, leur collection insolite de tronçonneuses, et tous ces comportements instables que leur entourage qualifiait “d’étranges”.

Mais d’autres m’ont répondu qu’ils ne l’étaient pas, mais qu’ils avaient pris conscience à quel point l’autisme avait influencé leur quotidien, leur propre perception du monde et leur psychologie, leurs rapports aux autres, tout en redéfinissant leurs objectifs. Il est vrai que nous avons tous entendu dire de nous-mêmes ou d’autres parents d’enfants autistes que ces familles étaient “excessives”, “émotives”, “revendicatrices”, “en souffrance” ou encore dans “le déni parce que fragilisés par le handicap de nos enfants”. Combien de remarques désagréables de Médecins et de l’Éducation nationale pour désigner les familles d’enfants autistes !

Donc avant de savoir si je souhaitais me faire diagnostiquer, j’ai commencé à faire ma propre introspection en interrogeant mes proches. Ma mère m’expliqua qu’enfant, je ne supportais pas de m’asseoir dans le sable à cause de mes tocs de propreté, que j’étais introvertie, et que je vivais dans les livres et la musique. Je me remémorais le harcèlement que j’avais subi par mes camarades de classe au collège parce que je me sentais différente. Les relations avec les autres m’avaient toujours semblé complexes comme si je ne comprenais pas les codes à adopter. Mes filles me reprochaient d’envahir la maison avec mes collections de timbres et de statuettes de femmes. J’avais toujours eu besoin de passer d’un projet de création à un autre avec un côté hyperactif et pointilleux. Mais étais-je autiste pour autant ? Je ne le pense pas et les tests me diront peut-être un jour le contraire.

Mais cette remarque du psychiatre a soulevé plusieurs réflexions. Devrait-on, en tant que parents, se faire diagnostiquer en même temps que son enfant ? Faire passer des tests aux frères et sœurs ? Devrait-on aussi remonter à ses propres parents, et inciter à ce qu’une grande étude puisse être menée sur ce sujet spécifique par des chercheurs ?

Il serait tout aussi intéressant de travailler également avec des sociologues pour se demander si à force de vivre l’autisme au quotidien avec notre enfant, nous avons développé, en tant que parents, une sorte “d’autisme mimétique“.

Je m’explique. En tant que maman d’enfant autiste, j’ai passé les 15 dernières années de ma vie à accompagner mon fils, et à gérer toutes les situations stressantes tout en essayant de tout appréhender pour empêcher les crises et troubles de comportement. J’ai veillé à ce que tous ses pulls soient en coton puisqu’il ne supportait pas le contact d’autres matières sur sa peau. Je me suis rendue compte que je n’avais jamais supporté ces matières, et j’ai fait pareil. Il ne supportait pas les lieux bruyants avec des néons violents. Par la force des choses, je ne les fréquentais plus non plus, et aujourd’hui je ne les supporte pas non plus. Il n’aimait pas les odeurs de poivrons et de champignons, et comme il parvenait même à détecter leur parfum sur moi, je n’en mangeais plus. Aujourd’hui, je trouve que ces odeurs sont envahissantes et désagréables. 

Finalement, à force d’avoir passé mon temps à changer mon environnement pour l’adapter aux besoins de mon fils autiste, je me suis rendue compte que ces ajustements fréquents ont influencé ma propre perception du monde, et que je lui ressemble de plus en plus. Tout ce qui l’insupporte, m’insupporte. Sa façon d’être m’a aussi influencée. Sans filtre, Ruben dit une vérité crûe et sans artifice. J’ai fini par faire de même. Il serait donc intéressant de montrer à quel point l’autisme de nos enfants nous conditionne nous-mêmes, jusqu’à développer et reproduire certains de leurs comportements. 

La gestion quotidienne des situations stressantes, la prévention des crises, et l’anticipation constante des besoins de mon fils a notamment créé chez moi, une habitude de vigilance permanente. C’est comme si chaque journée était une série de stratégies élaborées pour éviter les déclencheurs potentiels de troubles, une sorte de danse constante avec l’autisme.

À force de partager ses hauts et ses bas, j’ai développé des réflexes émotionnels particuliers avec des moments de joie qui résonnent plus intensément, des réactions émotionnelles plus marquées face à l’adversité, et un système de défense permanent, à force de faire face à ses anciens comportements violents. Ce que je considérais autrefois comme “normal” a été aussi redéfini. En entrant dans son monde, mes priorités ont évolué.  Aujourd’hui, je me sens comme connectée à lui, et je ne sais plus où commence son monde et où se termine le mien. 

En conclusion, cette réflexion sociologique ouvre des perspectives sur la façon dont l’autisme de nos enfants peut influencer nos comportements en tant que parents remettant en question les frontières entre leur monde et le nôtre. Plutôt que de se focaliser uniquement sur la génétique, une exploration approfondie des dynamiques familiales et des processus d’adaptation au quotidien offrirait une compréhension plus complète des interactions entre l’autisme de l’enfant et la psychologie des parents et de l’entourage. Il serait pertinent de considérer ces observations dans le contexte élargi de la société, en encourageant des discussions sensibles et des études sociologiques. L’autisme, loin d’être simplement une condition individuelle, devient ainsi un prisme à travers lequel comprendre la complexité des relations familiales et sociales. Comprendre tous ces effets me semble être une étape cruciale vers une société plus inclusive et empathique à l’égard des personnes autistes mais aussi de leurs familles.

© Olivia Cattan

https://atlantico.fr/article/decryptage/autisme-genetique-ou-mimetique-famille-enfants-parents-diagnostic-recherche-autistes-entourage-environnement-cadre-de-vie-olivia-cattan

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1 Comment

  1. “Sans filtre, Ruben dit une vérité crue et sans artifice”…C’est tout moi, depuis la petite enfance.”J’ai fini par faire de même”…Et c’est une très bonne chose.
    Étant moi-même autiste, avec toutes les conséquences que cela a eu sur ma vie, je sais qu’il ne fait pas accorder trop de valeur à ce que disent sur l’autisme des psys, souvent dépassés par quelque chose qui les
    dépasse. L’autisme ne peut être compris que par des autistes ou des personnes comme vous c’est-à-dire dotées d’une grande empathie.
    Ne cherchez pas midi à quatorze heures : il n’existe pas d’autisme mimétique” et ce que vous décrivez se nomme tout simplement L’EMPATHIE _ la plus belle et précieuse des qualités.
    Vous devez être une excellente mère et votre fils a cette chance.

    Si une réflexion “sociologique” doit être menée, c’est uniquement sur la façon dont la société traite les autistes et plus largement les handicapés. Cela en dit long sur la valeur morale d’une société. Et en France, comme vous le savez…

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