De Moscou à Tel-Aviv : l’histoire du théâtre israélien racontée à TAU

Dans un mini-cycle de conférence organisé par l’association des Amis francophones de l’Université de Tel-Aviv, le Prof. Nurit Yaari ancienne directrice du Département de théâtre de l’Université nous a fait partager ses profondes connaissances et son immense amour du théâtre israélien. Des ateliers du Théâtre d’art de Moscou à la naissance d’un art de la scène proprement hébraïque, les moments forts de l’histoire du théâtre israélien.

Le théâtre national Habima de 1917 à nos jours

Le théâtre Habima, qui a fêté cette année ses 100 ans, est le point de départ de tout le théâtre hébraïque. Sa création, à Moscou en 1917, est liée au renouveau de la langue hébraïque, œuvre d’Eliezer Ben Yehouda, et à l’explosion d’une nouvelle culture juive moderne non religieuse, à partir de la fin du 19e siècle. Son premier choix fut d’adopter l’hébreu, face à un public qui ne le comprenait pas, en remplacement du yiddish qui avait été la première langue du théâtre juif depuis son apparition vers le milieu du 19e, après des siècles d’interdiction rabbinique. Ainsi, la naissance du théâtre hébraïque et celle de l’hébreu comme langue quotidienne sont-elles concomitantes.

La troupe de théâtre Habima est née de la rencontre en Russie entre Nahum Zemah et Hana Rovina, alors institutrice, qui avec un groupe de jeunes juifs désireux d’utiliser la langue hébraïque, créèrent un petit studio sous l’égide du Théâtre d’art de Moscou et de son directeur, Constantin Stanislavski. Celui-ci chargea son meilleur étudiant, le metteur en scène Evgueny Vakhtangov de les former en tant qu’acteurs, selon sa propre méthode d’enseignement, basée sur la mémoire affective et le vécu propre des comédiens. Ces derniers devaient entre autre, travailler du matin au soir et n’avaient pas le droit de se marier ni de se mettre en couple.

Parmi les deux pièces de la troupe mises en scène par Vakhtangov, on peut citer le Dibbouk de Shalom Anski, traduit du yiddish par Bialik, avec Hanna Rovina dans le rôle de Léa, personnage qu’elle jouera jusqu’à l’âge de 80 ans –  production devenue légendaire et qui symbolise encore aujourd’hui le théâtre juif.

Ayant quitté Moscou en 1926 pour partir en tournée en Europe et aux Etats-Unis, Habima acquiert rapidement la réputation d’une des meilleures troupes du monde. Arrivée en 1929 en Israël, où il existe déjà deux troupes de théâtre, Haoel et Life, elle fait appel à un metteur en scène de Moscou pour monter ses premiers spectacles, et devient rapidement une troupe d’importance nationale, dotée d’un répertoire permanent de pièces du théâtre classique traduites en hébreu. En 1935 sera construit le théâtre Habima lui-même, sur son emplacement actuel.

Naissance du Caméri

En octobre 1944 Yosef Milo, jeune metteur en scène né à Prague mais arrivé en Israël avec sa famille à l’âge de 4 ans, rassembla quatre acteurs: son épouse Jemima, Rosa Lichtenstein, Avraham Ben-Yosef et Batya Lancet pour monter un spectacle de 4 sketches dans les sous-sols du cinéma Moghrabi à Tel-Aviv. Le spectacle connut un grand succès, et la troupe décida alors de monter un théâtre véritablement israélien, fondé sur une génération de jeunes acteurs ayant grandi dans le pays et parlant couramment l’hébreu, par opposition au théâtre Habima formé d’acteurs souvent âgés, d’origine russe, et dont le répertoire était essentiellement classique.

Officiellement créé en février 1945, le Caméri fut alors rejoint par Yossi Yadin et Hanna Maron, qui devinrent par la suite ses principaux acteurs. Il dut jongler entre la nécessité de former son public à la tradition occidentale classique, en raison du manque de répertoire local, et le désir de  mettre en place un théâtre original qui soit le reflet de la société israélienne et de son vécu. C’est dans cet esprit que pendant la guerre d’indépendance de 1948 Yosef Milo monta la pièce “Il allait dans les champs” (“Hou alah baSadot”), adaptée d’un roman de Moshé Shamir, avec Hanna Maron et Emmanuel Ben Amos, tragédie israélienne contemporaine aussi bien au niveau de  l’intrigue, de l’actualité du sujet que des symboles. La pièce, qui connut un succès extraordinaire, est considérée comme le début du théâtre israélien.

Dans les années suivantes, le Caméri continua sur sa double lancée: adaptation du théâtre classique et mise en scène de pièces originales. Le théâtre de Molière fut traduit par Nathan Alterman et celui de Shakespeare par Avraham Shlonsky. En 1952, Orna Porath, deuxième grande actrice du théâtre, interpréta Jeanne d’Arc, puis Electre d’Euripide, première tragédie grecque jouée au Caméri, avec des décors de Dani Caravan et sur un sol en pierres du Golan. En 1971, Yossi Israel mit en scène Médée de Sénèque, dans des décors d’Yigal Tumarkin, avec Hanna Maron, Zaharira Harifai et Zeev Revah, pièce pendant la durée de laquelle Maron, en déplacement, se retrouvera dans l’avion d’El Al détourné vers Munich et sera amputée d’une jambe.

Face à ces adaptations des œuvres classiques, le théâtre monta en 1954, Kasablan, sorte de West Side Story israélien du dramaturge Yigal Mossinsohn, puis des pièces originales d’Alterman, comme L’auberge des vents, Kinereth Kinereth, La reine Esther, ou Le roi Salomon et Shlomi le cordonnier.

Le metteur en scène le plus marquant du Caméri depuis la fin des années soixante fut Hanoch Levin, dont les pièces imprégnées d’une critique sociale et politique virulente, éveillèrent bien souvent des scandales. Sa revue satirique La reine de la salle de bain, caricature de la période d’euphorie qui suivit la guerre des six jours, montée en 1970, provoqua des manifestations violentes des spectateurs dans la salle et dut être arrêtée au bout de quelques représentations. Elle est cependant considérée comme un jalon fondamental de la satire israélienne. Auteur de 57 comédies et tragédies, dont 30 mises en scène par lui-même,  et 25 montées à l’étranger et non en Israël, Levin s’est employé à montrer aux spectateurs la souffrance de l’autre, et la responsabilité de l’homme envers son prochain.

En 1961, le Caméri déménagea vers le passage Hod sur l’avenue Dizengof, et en 2002 au Centre des Arts de la Scène de Tel-Aviv où il se trouve actuellement.

Les archives nationales du théâtre israélien

Enfin, le mini-cycle de conférences s’est terminé par une visite des archives théâtrales israéliennes, situées au sous-sol de la bibliothèque Sourasky à l’Université, avec la participation de Dr. Olga Levitan, directrice du centre d’archives.

Le Centre israélien de Documentation des Arts scéniques a été créé en 1970 à l’initiative de Shimon Lev-Ari, professeur au département de théâtre, qui a passé sa vie à collecter les documents pas à pas auprès des acteurs et des metteurs en scène. Constitué jusqu’à l’an dernier de cartons empilés dans des caves humides, il a été restauré grâce au concours des Amis français de l’Université, en particulier Zana et Bernard Murat, et renferme plus de 6000 fichiers et 1500 documents sonores et filmés, photos, et archives privées de personnalités célèbres du théâtre israélien.

Parmi ses trésors, on trouve les costumes des actrices Hanna Maron et Orna Porath dans la pièce Marie Stuart montée pour la première fois au Caméri en 1961, l’affiche de Michal fille de Saul, première pièce israélienne écrite en hébreu et montée par le théâtre Habima, jouée en France pendant sa tournée des années 40, des bibliothèques privées de professeurs de l’université léguées aux archives, des maquettes d’Arie Navon, scénographe des premières pièces du Caméri, “Il allait dans les champs”, “Le roi Salomon et Shlomi le cordonnier” etc…, une maquette des décors de la mise en scène de Hanoch Levin pour sa pièce L’enfant-rêve, et une d’Œdipe Roi, première tragédie grecque mise en scène par Habima en 1947.

Sont également conservés aux archives les objets qui ont récemment présentés au public lors de l’exposition organisée à l’occasion du centenaire du théâtre Habima. Parmi les documents les plus passionnants, une lettre adressée par la troupe à Goebbels, ministre de la propagande hitlérienne, en 1937; un “planning” manuscrit des spectacles donnés par le théâtre pendant sa tournée en Europe dans les années 20, comprenant la liste des pays, des villes et des théâtres où la troupe s’est produite, et jusqu’au nombre de représentations; des affiches de spectacles donnés par Habima  dans les années vingt et trente en Russie et en Europe – à Londres, en Italie, à la salle Pleyel à Paris, et notamment une de la représentation du Dibbouk à Magdeburg en Allemagne en 1927; des photographies originales de spectacles, prises à Moscou, à Tel-Aviv et en Allemagne, dont une extraordinaire collection des sœurs Hess, célèbres photographes expressionnistes allemandes de la fin des années 20; des illustrations de presse des journaux de la Diaspora représentant les acteurs d’Habima dans divers rôles; un certificat honorifique décerné à la troupe à Paris en 1937, des croquis originaux d’Emmanuel Luftglass pour la pièce Cette terre, et bien d’autres documents.

Signalons également une touchante marionnette du théâtre de Paul Lévi, où Yosef Milo, fondateur du Caméri, avait débuté sa carrière.

Source ami-universite-telaviv

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